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ciation internationale des travailleurs, il était clair que le groupe genevois ne pouvait plus prétendre à faire partie de la fédération locale des Sections de Genève.

Cette décision du Conseil général de Londres avait été prise, comme on l'a vu, le 22 décembre, le jour même où Bakounine écrivait à Marx (p. 103). Mais quand même la lettre de Bakounine serait arrivée un peu plus tôt, elle n'aurait rien changé à la résolution à prendre. Il était évident que le raisonnement employé au Congrès de Bruxelles contre la Ligue de la paix s'appliquait avec la même force à l'Alliance internationale de la démocratie socialiste : puisque cette Alliance avait le même but et les mêmes principes que l'Association internationale des travailleurs, elle n'avait nulle raison d'être comme organisation internationale spéciale.

Quand la réponse du Conseil général fut parvenue à Genève, à une date que je ne puis préciser exactement, vers la fin de janvier ou le commencement de février, Bakounine reconnut d'autant plus volontiers la justesse du raisonnement qu'on opposait à l'Alliance, que lui-même, à Berne, en septembre, avait déjà recommandé d'éviter ce qui pourrait donner à l'Alliance l'apparence d'une organisation rivale de l'Internationale ; tandis que, chose singulière, ce fut J.-Ph, Becker qui protesta. Voici comment Bakounine, dans un Rapport sur l'Alliance rédigé en 1871, dont je possède le manuscrit, et dont deux fragments ont été imprimés dans le Mémoire de la Fédération Jurassienne, l'un textuellement (pages 45-58 des Pièces justificatives), l'autre avec des retouches et des coupures (pages 68-77)[1], a raconté ce qui se passa :


Lorsque lecture fut faite de cet acte [la décision du Conseil général] au sein du Bureau de l'Alliance, personne ne s'éleva avec autant de véhémence contre lui que le fougueux vieillard J.-Ph. Becker. Il nous déclara tout d'abord que ces résolutions étaient parfaitement illégales, contraires à l'esprit et à la lettre des statuts de l'Internationale, ajoutant que nous avions le droit et le devoir de passer outre, et traitant le Conseil général de tas d'imbéciles qui, ne sachant rien faire eux-mêmes, voulaient encore empêcher les autres d'agir. Les deux membres qui maintinrent le plus opiniâtrement contre lui la nécessité de s'entendre avec le Conseil général furent Perron et Bakounine. Ils reconnurent tous les deux que les protestations du Conseil général contre le règlement de l'Alliance étaient parfaitement justes, puisque d'après ce règlement l'Alliance devait former au sein de l'Association internationale des travailleurs une association internationale nouvelle, indépendante de la première...

Après un long débat, il fut unanimement décidé par le Bureau de l'Alliance que Perron, au nom de tous, se mettrait en correspondance avec le Conseil général de Londres. À la suite de cette décision, le compagnon[2] Ch. Perron écrivit soit au citoyen Eccarius, soit au citoyen Jung, une lettre dans laquelle, après lui avoir franchement exposé la situation et le véritable but de l'Alliance, et après avoir raconté ce que des membres de l'Alliance avaient déjà fait pour la

  1. Ce manuscrit me fut envoyé de Locarno par Bakounine en août 1871, peu avant la Conférence de Londres. On trouvera des détails à ce sujet dans le second volume.
  2. Le mot « compagnon », employé d'abord par les Belges, était devenu d'un usage courant dans l'Internationale de langue française. On le rencontre à plusieurs reprises dans le Compte-rendu officiel du Congrès de Bruxelles de 1868, concurremment avec le mot de « citoyen » : « Le compagnon Englebert, géomètre, demande, etc. ; ... Le compagnon Jung s'assied au banc de la présidence.. » La traduction d'une lettre d'Amérique, signée Jessup, commence par les mots : « Compagnons travailleurs » ; et dans la traduction d'une lettre du Congrès de Nuremberg on lit : « Notre Congrès vous envoie, en signe d'alliance, le compagnon Frédéric Bûtter ».