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le projet de règlement élaboré par elle, et les réponses reçues des futurs collaborateurs du journal.

Le rapport de la commission exposait les conditions dans lesquelles le journal pourrait subsister : l’Égalité devait paraître à Genève tous les samedis, et l'abonnement devait coûter 3 fr. 60 par an ; avec deux mille abonnés (la Voix de l'Avenir en avait eu près de deux mille cinq cents), le journal ferait un bénéfice net de 2,176 francs par an ; avec trois mille abonnés, un bénéfice de 4,450 francs, bénéfice qui permettrait, dans les cas de grève et de lutte, de publier des bulletins quotidiens pour défendre la cause ouvrière devant l'opinion publique. La commission terminait en engageant les Sections à imiter l'exemple de la Section du Locle, « qui, entre toutes les Sections de la Suisse romande, est une de celles qui comprend le mieux les devoirs et les sacrifices imposés aux travailleurs qui veulent s'affranchir » : cette Section, dans une assemblée extraordinaire tenue le 5 décembre, avait décidé de prendre un abonnement collectif de trois mois à l’Égalité ; c'est-à-dire que la Section garantissait au journal, pendant trois mois, le paiement d'un nombre d'abonnements égal à celui de ses membres ; passé ce terme, l'abonnement deviendrait une affaire individuelle, et on se tenait pour assuré que personne ne voudrait renoncer à recevoir le journal[1].

En ce qui concerne les promesses de collaboration, la commission publiait, pour la Suisse, ma réponse et celle de Bakounine. Celui-ci, après avoir déclaré qu'il considérait l'Association internationale des travailleurs comme la plus grande et la plus salutaire institution du siècle, disait :


Il est une question surtout qu'il me paraît important de traiter aujourd'hui. Vous savez que ces pauvres bourgeois, pressés par la force inéluctable des choses et faisant de nécessité vertu, se font aujourd'hui socialistes : c'est-à-dire qu'ils veulent falsifier le socialisme, comme ils ont falsifié tant d'autres excellentes choses à leur profit. Longtemps ils ont combattu jusqu'à ce mot de socialisme ; et j'en sais quelque chose, moi qui, au sein du Comité central de la Ligue de la paix et de la liberté, ai passé un hiver, que dis-je ? une année tout entière à leur expliquer la signification de ce mot. Maintenant ils disent le comprendre. J'attribue ce miracle non à ma pauvre éloquence, mais à l'éloquence des faits qui ont parlé plus haut que moi. La grève de Genève, celle de Charleroi, en Belgique, le fiasco essuyé par les démocrates bourgeois d'Allemagne dans la grande, assemblée populaire de Vienne, les Congrès de Hambourg[2] et de Nuremberg[3] et surtout celui de Bruxelles, ont forcé leur intelligence doctrinaire et rebelle. Sourds et aveugles par intérêt, par position et par habitude, ils commencent aujourd'hui à entendre, à voir. Ils ont enfin compris que l'avènement du socialisme est désormais un fait inévitable ; que c'est le Fatum du siècle dans lequel nous vivons. Et voilà pourquoi ils sont devenus socialistes.

  1. Le résultat obtenu pendant le second trimestre, où l'abonnement était devenu affaire individuelle, ne fut pas aussi satisfaisant qu'on l'avait espéré ; aussi fallut-il prendre d'autre mesures. L'avis suivant fut inséré dans l’Égalité du 26 juin 1869 : « Les membres de la Section centrale du Locle sont prévenus que l'assemblée générale du 29 mai a décidé de rendre l'abonnement au journal obligatoire. En conséquence, l’Égalité sera envoyée, à partir du troisième trimestre, à tous les membres de la Section, qui sont invités à l'accepter. Le refus du journal sera considéré comme équivalant à la démission du membre qui l'aura refusé. »
  2. La septième assemblée générale de l’Allgemeiner deustcher Arbeiterverein (l'Association lassallienne), tenue du 22 au 26 août 1868, sous la présidence de Schweitzer.
  3. Le cinquième Congrès des associations ouvrières allemandes (Vereinstag der deutschen Arbeitervereine), réuni le 5 septembre 1868 sous la présidence de Bebel.