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rendum chez nous, c'est de l'essayer : ce n'est que notre propre expérience qui nous apprendra si le peuple neuchâtelois a atteint un degré de maturité suffisant pour pouvoir passer du système représentatif à celui de la législation directe... Suivant la solution que nous donnerons à la question qui nous est posée aujourd'hui, nous affirmerons que nous croyons au progrès, que nous nous sentons des hommes libres, capables de nous gouverner nous-mêmes ; ou bien nous ferons l'aveu de notre impuissance, de notre incapacité, nous avouerons que chez nous la souveraineté du peuple n'est encore qu'un vain mot. Voulons-nous continuer le régime de la tutelle politique, et le peuple, pour nous, est-il toujours un grand enfant qui a besoin d'être conduit par un petit nombre de sages ? ou bien voulons-nous, par un vote solennel, nous déclarer majeurs, et, prononçant enfin l'émancipation complète du peuple, prendre nous-mêmes en main la direction de nos affaires ? Voilà la question[1]. »


Après ce discours, on se regarda. Les conservateurs, qui étaient en majorité dans l'assemblée, se turent ; et ce fut un vieux radical, Jules Jeanneret, président du tribunal, qui prit la parole pour me répondre. Je ne me souviens pas trop de ce qu'il put dire ; je crois bien qu'il essaya de démontrer que nos propositions n'étaient pas pratiques.

À l'ouverture de l'assemblée, celle-ci se composait de sept cents électeurs ; mais le plus grand nombre d'entre eux, après avoir déposé dans l'urne le bulletin contenant le nom des candidats auxquels ils donnaient leurs suffrages, s'étaient retirés. De plus, pendant que le président Jeanneret parlait, midi avait sonné, et d'autres électeurs, qu'un débat de cette nature laissait indifférents, s'étaient hâtés de rentrer chez eux pour ne pas laisser refroidir la soupe. Quand le moment fut venu de prendre une décision, il ne restait plus que cent dix citoyens dans le temple ; les propositions des socialistes furent repoussées à deux voix de majorité.

Le soir même, nous étions réunis, à quelques-uns, au Cercle international, et nous parlions de notre échec du matin. On proposa d'imprimer une feuille volante qui rendrait compte à la population du Locle de ce qui s'était passé dans l'assemblée électorale, et qui mettrait nos arguments sous les yeux de ceux qui ne les avaient pas entendus. L'idée parut bonne, et fut aussitôt adoptée. Nous décidâmes que la feuille en question aurait pour titre le Progrès et pour sous-titre : Organe des démocrates loclois ; des « démocrates », et non des socialistes, puisqu'une partie des radicaux avaient fait cause commune avec nous, et que le programme que nous avions présenté sur le terrain municipal était simplement celui d'une extension des droits du peuple. Il fut convenu en outre que le Progrès aurait pour épigraphe ces mots : Tout pour le peuple et par le peuple. Quant à la dépense, nous calculâmes que si nous vendions à nos amis deux cents numéros (à prendre au Cercle international) à dix centimes, et au public deux cents autres numéros, à dix centimes aussi, mais en abandonnant pour ceux-là la moitié du prix, à titre de rémunération, au porteur qui irait les offrir de maison en maison, la recette serait de trente francs, somme suffisante pour payer les frais de composition, de papier et de tirage. Mais il fallait prévoir la possibilité d'une mévente, et par conséquent constituer un capital de garantie. Le père Meuron prit une assiette, fit la tournée, chacun mit un franc dans l'assiette, et le Progrès fut fondé, pour être tiré à cinq cents exemplaires. Comme il ne devait avoir qu'un seul numéro, j'acceptai d'en être le rédacteur en chef, en sollicitant toutefois le concours de ceux de mes amis qui savaient tenir une plume. Quatre ou cinq camarades me promirent leur collaboration : mais je prévoyais qu'ils néglige-

  1. Extrait du premier numéro du journal le Progrès.