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à l'Académie de Neuchâtel, venait de commencer sa campagne contre l'orthodoxie protestante par une conférence sur l’enseignement de l'histoire sainte dans les écoles primaires, faite à Neuchâtel le samedi 5 décembre : il y réclamait la complète laïcité de l'école, et résumait sa thèse par ces mots :« Abolissez l’histoire sainte, et mettez à sa place l’histoire de l'humanité ». Je le priai aussitôt de venir répéter cette conférence au Locle, et je demandai et obtins que la grande salle du Collège fût mise à sa disposition pour le mercredi 9 décembre. Mais les pasteurs, tout-puissants dans la Commission d'éducation, s'émurent, et, le jour même où devait avoir lieu la conférence, ils firent envoyer au jeune professeur un télégramme lui annonçant qu'on ne pourrait pas le recevoir, parce que la salle du Collège n'était pas libre (ce qui était faux). Buisson dut donc renoncer à venir ce jour-là ; mais mes amis et moi ne nous tînmes pas pour battus, et le lendemain je pouvais lui écrire que nous aurions à notre disposition, pour le recevoir, les vastes salles du Cercle de l'Union républicaine (le cercle du parti radical). Il promit de venir le mercredi 16.

J'avais moi-même une conférence à faire dans la grande salle du Collège le lundi 14 (chacun des professeurs de l'École industrielle était tenu de faire, pendant l'hiver, deux à trois conférences publiques), et j'avais choisi pour sujet L'enseignement de l'histoire ancienne. « Je m'attends à être un peu lapidé lundi soir, écrivais-je : car, tout innocent que soit mon sujet, j'aurai l'occasion de dire des choses qui ne plairont pas aux orthodoxes. Il paraît que la guerre est déclarée sur toute la ligne. » (Lettre du 9 décembre 1868.) En effet, la conférence de Buisson avait fait pousser des cris de rage au clergé orthodoxe, brusquement troublé dans sa quiétude ; Frédéric Godet, pasteur et professeur, le plus éminent des théologiens calvinistes, avait répondu à Buisson, dès le 10 décembre, par un discours violent prononcé dans la chapelle des Bercles à Neuchâtel[1] ; et on annonçait qu'il viendrait au Locle répéter ce discours, à la demande des pasteurs, dans le temple, le vendredi 18, c'est-à-dire le surlendemain du jour où Buisson aurait parlé au Cercle de l'Union républicaine.

À l'assemblée populaire du 10, à l'hôtel-de-ville, je fis le rapport dont j'avais été chargé. L'assemblée adopta les trois propositions qu'il s'agissait de soumettre le dimanche suivant aux électeurs, réunis dans le temple après le service religieux, selon l'habitude du pays.

Le dimanche 13, je présentai donc à l'assemblée électorale, au nom de mes collègues de la commission populaire et de l'assemblée qui les avait nommés, les trois propositions, en les motivant de la façon suivante :


« En soumettant ces propositions à l’assemblée générale, nous soulevons une des plus importantes questions de la politique moderne, celle du referendum ou de la législation directe par le peuple... Le referendum n'est pas une chose bonne ou mauvaise en elle-même, c'est un instrument qui fait du bien ou du mal suivant le peuple qui s'en sert. Au sein d'une population éclairée et capable de se prononcer en connaissance de cause, à Zurich ou chez nous, le referendum peut être appliqué avec avantage, et, bien loin d'être un obstacle au progrès, il pourra devenir au contraire un puissant instrument de progrès. Soit, dit-on, mais laissons-en faire l'expérience à Zurich et à Berne, et attendons, pour imiter nos confédérés, de voir quel résultat le referendum aura donné chez eux. — Pourquoi ? Et que nous apprendrait l'exemple de Zurich ? Le referendum pourrait fonctionner à merveille à Zurich, et ne pas convenir au canton de Neuchâtel. Le seul moyen de savoir si nous sommes capables de pratiquer le refe-

  1. Frédéric Godet, La sainteté de l'Ancien-Testament, Neuchâtel, Samuel Delachaux, in-16 de 100 pages.