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Chez nous, la démocratie sociale n’est pas encore constituée en parti réellement indépendant, vivant de sa vie propre et assez fort pour réaliser par lui-même son programme. Dans la dernière campagne électorale, les socialistes, abordant pour la première fois la politique pratique, ont marché à l’aventure, et, trop faibles pour faire prévaloir l’idée nouvelle, ont dû se résigner à emboîter le pas derrière l’un ou l’autre des vieux partis. Cette expérience fâcheuse nous a profité : les socialistes du Locle sont décidés à travailler à l’avenir en dehors de toute alliance avec un des anciens partis, et à consacrer leurs efforts à l’organisation du parti démocratique et social, à la propagande, à l’étude des questions théoriques, et aux tentatives pratiques de coopération, qui nous paraissent un des moyens les plus sûrs d’éveiller, chez ceux de nos concitoyens qui en sont susceptibles, des sympathies pour la réforme sociale.

Vous serez plus heureux dans l’expérience que vous tentez, nous l’espérons fermement. Les socialistes genevois sont assez forts et assez sûrs d’eux-mêmes pour pouvoir entreprendre la lutte sur le terrain cantonal et la mener à bien ; l’attitude admirable du prolétariat de Genève, lors de la dernière grève, a montré à la Suisse qu’une ère nouvelle allait s’ouvrir, et que le socialisme, sortant de la période d’élaboration, pouvait s’affirmer aujourd’hui avec une pleine conscience de soi et se présenter avec des formules positives et des solutions scientifiques. Vous marcherez courageusement au but, citoyens ; les accusations absurdes n’auront pas le pouvoir de vous faire hésiter ; et quel que soit le résultat de cette première campagne, l’Europe révolutionnaire, qui aies yeux sur vous, vous saura gré d’avoir franchement arboré, au milieu des vieux partis qui se combattent en aveugles dans les ténèbres, le drapeau de la lumière, de la justice, le drapeau du socialisme mutuelliste.

Recevez nos fraternelles salutations.

Au nom des démocrates socialistes loclois :

Le secrétaire, Le président de l’assemblée,
James Guillaume. Constant Meuron.


On remarquera que la Section du Locle, qui venait d’adhérer à l’unanimité aux résolutions du Congrès de Bruxelles sur la propriété collective, se déclarait en même temps « socialiste mutuelliste ». Tel était l’état des esprits parmi nous, à ce moment, que nous n’apercevions aucune contradiction entre les deux choses. Nous demandions que les producteurs fussent mis en possession des intruments de travail, ce qui impliquait une transformation de la propriété individuelle en propriété collective ; mais en même temps nous admettions le maintien de l’échange des produits au prix de revient, sur la base de la réciprocité.

Des séances fréquentes de groupes ou de comités, ou simplement des causeries amicales, indépendamment des assemblées mensuelles de la Section, rapprochaient les uns des autres, au Locle, les socialistes militants. Ils se réunissaient dans la maison du café de Mme veuve Frey (café de la Poste). Au premier étage de la maison, au-dessus du café, se trouvait une grande salle réservée aux assemblées nombreuses et aux soirées familières : c’était le siège du « Cercle international », institution qui se confondait avec la Section elle-même. Les réunions plus intimes avaient lieu dans une petite pièce au sous-sol, à côté de la cuisine ; cette pièce, qui servait de salle à manger à la famille Frey, s’appelait le « Caveau » : c’est là que s’étaient tenues, au printemps de 1868, les séances du comité électoral de la République démocratique et sociale ; c’est là que se réunissaient tous