Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/84

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Malgré le décret de suspension fulminé contre la Fédération jurassienne, le Conseil général peut être assuré que cette Fédération continuera d’être reconnue par l’immense majorité des internationaux du monde...

Salut et liquidation sociale, anarchie et collectivisme.

Alcoy, 22 février 1873.
Pour la Commission fédérale :
Le secrétaire d’extérieur, Francisco Tomás, maçon.


Il est intéressant de constater que, dans l’opinion d’Engels et de Marx, la décision du Conseil général du 5 janvier fut une faute : ils eussent voulu qu’au lieu de la suspension, le Conseil général prononçât sur-le-champ l’expulsion, non seulement de la Fédération jurassienne, mais de toutes les Fédérations qui s’étaient mises en état de rébellion.

À la date du 4 janvier, Engels avait écrit à Sorge : « Vous avez donc maintenant : a, les Jurassiens ; b, les Belges ; c, l’ancienne Fédération espagnole, et d, les Sections anglaises de la minorité[1], qui se sont déclarés en rébellion. Nous sommes ici unanimement d’avis qu’il ne s’agit pas là d’un cas de suspension, mais que le Conseil général doit simplement constater que lesdites Fédérations et Sections ont déclaré nuls et non avenus les statuts légaux de l’Association (die zu Recht bestehenden Gesetze der Assoziation), qu’elles se sont mises par là elles-mêmes hors de l’Internationale et ont cessé d’en faire partie. Alors il ne sera pas question de la convocation d’une Conférence, qui dans le cas d’une suspension aurait pu être réclamée[2]. Naturellement vous ne pourrez prendre de semblables mesures que lorsque vous aurez entre les mains les documents officiels. Nous vous les procurerons[3]. »

En exécution des instructions envoyées par Engels, le Conseil général de New York vota le 26 janvier 1873 une résolution disant que « toutes les sociétés et personnes qui refusent de reconnaître les résolutions des Congrès, ou qui négligent exprès de remplir les devoirs imposés par les statuts et règlements généraux, se placent elles-mêmes en dehors de l’Association internationale des travailleurs et cessent d’en faire partie[4] ».


Marx à son tour écrivait à Bolte, le 12 février :


À mon avis, le Conseil général a commis une grande faute par la sus-

  1. Ce sont les Sections qui faisaient cause commune avec la majorité du Conseil fédéral anglais, qu’Engels désigne par ce terme de minorité.
  2. L’article 6 du titre II des Règlements généraux, revisé à la Haye, disait en effet que, dans le cas de la suspension de toute une fédération, le Conseil général devrait, si la majorité des fédérations le demandait, convoquer une Conférence extraordinaire, qui se réunirait un mois après. On voit qu’Engels et Marx, plus autoritaires que la majorité de la Haye et que Sorge lui-même, appréhendaient la réunion fût-ce d’une simple Conférence, où ils ne se sentaient plus sûrs d’être les maîtres, et ne voyaient de salut que dans un acte par lequel Sorge les débarrasserait d’un seul coup de tous les « rebelles ». Mais ces rebelles, c’était toute l’Internationale vivante.
  3. Dans la même lettre, Engels revenait sur la question des solécismes qui émaillaient les circulaires du Conseil général : « Aussi longtemps que vous correspondrez en français avec des gens comme les Jurassiens et les Belges, et en anglais avec Hales, vous courrez le risque qu’ils fassent imprimer vos documents avec toutes les fautes et les germanismes, ce qui ne serait sûrement pas agréable. Ne vous est-il donc pas possible de trouver des gens dont le français ou l’anglais soit la langue maternelle, et qui puissent revoir vos écrits ? Nos Français ici auraient fait un vacarme de tous les diables, si jamais nous avions mis leurs signatures sous mon français ou celui de Marx. Aucun de nous ne peut posséder une langue étrangère assez à fond pour être capable d’écrire en cette langue un document destiné à la publicité, sans le faire corriger par quelqu’un du pays. »
  4. Je ne connais cette résolution que par la mention qui en est faite dans le pamphlet marxiste L’Alliance, etc., p. 56.