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majorité pour écraser l’opposition ; j’étais partisan au contraire d’une discussion loyale, espérant que nous pourrions [au Congrès] convaincre l’opposition par le raisonnement. Engels comptait sur un chiffre suffisant de délégués à sa discrétion, pour écraser l’opposition par le nombre. Cela élargit encore la séparation entre Marx et moi. Dupont et Serraillier étaient en désaccord avec Marx aussi souvent que moi, seulement ils ne lui faisaient pas d’opposition ; ils se bornaient à venir se plaindre à moi.

« À tous les Congrès précédents, Eccarius et moi avions été les exposants de la doctrine de Marx ; mais je ne pouvais pas voter pour sa nouvelle politique, et, plutôt que de voter contre Marx, je résolus de ne pas aller au Congrès. Quelques jours avant le Congrès, il arriva des nouvelles qui firent douter si le Conseil général avait une majorité assurée. Marx et Engels me pressèrent alors de venir aussi. Je refusai, en donnant pour raison que j’avais déjà fait trop de sacrifices. Le jour suivant, ils revinrent et me dirent qu’il fallait absolument que je vinsse, que la majorité pouvait dépendre d’une seule voix ; je répondis qu’ils pourraient facilement la trouver. Ils m’offrirent de payer les frais nécessaires, quels qu’ils pussent être, si je consentais à aller. Engels me dit même : « Vous êtes le seul homme qui puisse sauver l’Association ». Je lui répondis que je ne pouvais aller à la Haye qu’à une seule condition, c’était que lui et Marx n’y allassent pas.

« Au Congrès de New York, Sorge et Dereure furent élus délégués pour le Congrès de la Haye. Sorge demanda qu’on lui remît en outre des mandats en blanc ; et, comme on lui faisait des objections, il montra une lettre de Marx où la chose était ordonnée. Ayant appris cela, je le dis à Marx ; celui-ci me répondit que si Sorge avait montré cette lettre, il n’était qu’un âne stupide (ein dummer Esel). Maltman Barry a reçu un de ces mandats en blanc.

« À la dernière séance du Conseil général avant le Congrès, je proposai par écrit que le siège du Conseil général ne fût plus à Londres. Marx et Engels ne voulurent pas en entendre parler. J’aurais voulu voir le Conseil général en Suisse ou en Belgique.

« Serraillier [,à la Haye,] avait en poche des mandats de différentes parties de la France. Pour forcer Marx à se séparer des blanquistes, il le menaça de distribuer ces mandats à Lissagaray et à d’autres personnes, et de se former ainsi lui-même un parti contre les blanquistes. Pour éviter cela, Marx consentit au transfert du Conseil général. Quand New York fut proposé, Johannard dit que c’était seulement afin de mettre le Conseil entre les mains de Sorge, la créature de Marx. Sorge s’était rendu si déplaisant que personne n’aurait voté pour lui, et Marx promit qu’il ne ferait pas partie du Conseil. Mais on eut soin de laisser dans le Conseil général quelques places vacantes, et le premier acte du nouveau Conseil fut d’appeler Sorge dans son sein comme secrétaire général. Ainsi, l’homme qui, dans l’opinion de Marx, n’est qu’un âne, a été placé à la tête du Conseil général.

« Marx a trompé et trahi tous ses anciens amis. J’ai écrit à plusieurs d’entre eux à ce sujet, et leur ai dit ce que j’en pensais. Mme  Marx est venue me voir une fois depuis lors. Mlle  Marx deux fois, et Dupont et Lafargue sont venus m’engager à faire visite à Marx ; mais je refusai.

« Après le Congrès de la Haye, j’avais résolu de ne plus rien avoir à