Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/699

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’est créé un cercle de lecteurs assidus et sympathiques, qui le verront disparaître avec un sentiment de chagrin. Eh bien, que ces lecteurs, que ces amis nous restent fidèles durant la suspension momentanée que nous devons nous imposer ; et, lorsque les circonstances nous permettront de rentrer dans la lice, qu’ils veuillent bien nous apporter de nouveau leur précieux concours.

Il reste d’ailleurs un nombre suffisant d’organes socialistes de langue française pour que nous soyons assurés que les principes que nous avons défendus continueront à être représentés et propagés d’une manière convenable. Contentons-nous de citer le Travailleur, de Genève, revue mensuelle[1] ; le Mirabeau de Verviers, organe hebdomadaire[2] ; l’Avant-Garde, organe de la Fédération française de l’Internationale[3]. Ce dernier journal, que nous recommandons spécialement aux lecteurs du Bulletin, pourra, mieux que tout autre, combler le vide momentané que laissera notre disparition.

En nous retirant de l’arène, nous avons la conscience de n’avoir pas travaillé en vain, durant six ans, à la propagande des idées socialistes. Notre modeste feuille a été, lors du conflit entre les autoritaires et les anti-autoritaires dans l’Internationale, un des premiers champions du principe fédéraliste ; elle a contribué dans la mesure de ses forces à la défaite du Conseil général, et les principes qu’elle représentait sont aujourd’hui acceptés même par nos anciens adversaires : aucune organisation internationale n’est désormais possible que sur la base de la fédération et de l’autonomie des groupes. Quant à notre programme économique et politique, — Anarchie et Collectivisme, c’est-à-dire « liberté dans la communauté », — il est de mieux en mieux compris, et le nombre des esprits sérieux qui s’y rattachent devient tous les jours plus considérable.

Aussi, pleins d’espoir dans l’avenir, prenons-nous congé de nos lecteurs en répétant le cri qui fut notre devise : Vive la prochaine émancipation des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes !


Le 30 mars mourait à Neuchâtel, dans sa quatre-vingt-troisième année, après quelques jours de maladie, notre ami Charles Beslay. Des proscrits de la Commune, venus de différentes parties de la Suisse, lui firent des obsèques solennelles, auxquelles j’eus le regret de ne pouvoir assister : en rentrant à mon domicile au sortir de la chambre mortuaire, le dimanche 31, j’avais été saisi par le froid (il faisait une bise glaciale), et je dus me mettre au lit avec une fièvre violente. Beslay ne partageait pas nos opinions sur plus d’un point, mais c’était un brave homme, très sincère et très courageux : j’ai conservé avec lui jusqu’à la fin les relations les plus cordiales.

En mars ou avril, je reçus d’un avocat de Neuchâtel, dont j’ai oublié le nom, l’invitation d’avoir à verser entre ses mains la somme de trois cents francs, montant de l’indemnité allouée le 18 août 1877 par le tribunal de Berne au gendarme Lengacher, et que j’étais condamné à lui payer, solidairement avec dix-sept camarades. Je fis part de la nouvelle à mes amis, et aussitôt une souscription fut ouverte afin de me mettre en mesure de payer non seulement l’indemnité de Lengacher, mais aussi, éventuellement, celles des trois autres

  1. Le Travailleur allait lui-même cesser de paraître avec son douzième numéro, celui d’avril 1878.
  2. Le Mirabeau cessa de paraître en mai 1880.
  3. L’Avant-Garde vécut jusqu’au commencement de décembre 1878.