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Berne, le 25 février 1878.
À la rédaction du Bulletin de la Fédération jurassienne.

Je lis à l’instant, dans votre dernier numéro, que le département militaire bernois a ordonné la mise de piquet de la batterie n° 12 pour le 17 mars ; et vous présumez que le gouvernement a simplement voulu, par là, adresser une provocation à ceux qui voudraient célébrer l’anniversaire du 18 mars.

Selon toute probabilité, la mesure prise par le département militaire a été occasionnée par les bruits qui circulent en ce moment dans la ville de Berne ; et quant à l’origine de ces bruits, voici ce que j’ai à vous communiquer.

Dans la commission de propagande des sections bernoises de l’Arbeiterbund, on a discuté la question de la célébration du 18 mars. Alors un certain nombre de miliciens ont offert, dans le cas où aurait lieu un cortège avec le drapeau rouge, d’escorter le drapeau avec leurs fusils Vetterli[1], et, en cas de besoin, de faire usage de leurs armes, si le drapeau était attaqué.

Cette question doit être discutée dans une réunion encore plus nombreuse, qui prendra une décision définitive à ce sujet. Je ne puis donc pas vous dire encore d’une manière positive si nous organiserons un cortège avec le drapeau rouge. En tout cas, si la chose se fait, et que le drapeau soit attaqué, l’affaire sera plus sanglante que la dernière fois, car l’exaspération de la population ouvrière de la ville de Berne devient de jour en jour plus grande. Aussi les assaillants pourraient bien ne pas remporter la victoire.

Salut démocratique et social.

F. Wegmüller,
membre de l’Arbeiterbund de Berne.


Ce qui faisait surtout l’intérêt de cette lettre, c’est que c’était un membre de l’Arbeiterbund qui l’avait écrite. Il y avait donc, parmi les ouvriers de la Suisse allemande, des hommes qui ne reculeraient pas devant l’action, et qui étaient résolus, au besoin, à repousser la force par la force ! C’était là du nouveau. Et dans le même numéro du Bulletin il y avait une lettre d’un membre de l’Arbeiterverein de Thoune, qui affirmait les sympathies de cette société (adhérente à l’Arbeiterbund) pour les idées anarchistes !

S’obstinant jusqu’au bout dans la gaffe, le gouvernement de Berne, loin de chercher à réparer sa première maladresse, donna au public un spectacle grotesque. Je copie dans le Bulletin du 25 mars le récit de cette bouffonnerie énorme :


Les Ours de Berne.

Le gouvernement bernois s’est rendu la risée de la Suisse entière. Nous avons déjà parlé de la mesure prise par lui en février, lorsqu’il avait décidé, en vue d’une célébration possible de l’anniversaire du 18 mars à Berne, la mise de piquet de la batterie n° 12. L’hilarité soulevée par cette résolution saugrenue aurait dû servir d’avertissement à ses auteurs : mais non ; il était écrit que ces hommes d’État mal chanceux se fourvoieraient jusqu’au bout, et qu’ils donneraient tête baissée dans le ridicule à un degré que n’auraient pas osé espérer leurs plus cruels ennemis.

Le 15 mars, le Conseil exécutif du canton de Berne a pris l’arrêté monumental qu’on va lire, et qui a été aussitôt placardé à profusion sur tous les murs de la cité des Ours :

  1. C’était le nouveau fusil à répétition en usage dans l’armée suisse.