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la gratuité de l’instruction primaire ; non l’abolition des cultes, mais la séparation de l’Église et de l’État ; non la suppression des tribunaux, mais le droit accordé à tous les citoyens de faire partie du jury ; non la suppression du parlementarisme, mais l’élection de députés socialistes ou simplement « amis du progrès social », et plus tard l’introduction du suffrage universel !

Et pourtant les mêmes hommes qui aujourd’hui préconisent l’emploi de semblables moyens d’action en ont cent fois démontré la stérilité et le danger il y a quelques années. Nul n’a plus éloquemment fait le procès du suffrage universel, comme moyen d’émancipation politique et sociale, que le Dr  De Paepe, qui s’en constitue aujourd’hui l’avocat.

Les « socialistes brabançons » ont changé non seulement de tactique, mais de principes tout en gardant de vagues aspirations socialistes, ils se sont désormais placés, dans la pratique, sur le terrain politique des radicaux bourgeois.

Nous, au contraire, nous sommes restés sur le terrain de la révolution économique. Voilà ce qui nous sépare.

« Ce n’est point par des alliances politiques, — a dit excellemment Élisée Reclus dans cet article dont nous avons déjà cité un passage, — ce n’est point par des œuvres de détail, par des tentatives d’amélioration partielle que nous croyons pouvoir avancer le jour de la Révolution future. Il vaut mieux marcher directement vers notre but que de suivre des voies détournées qui nous feraient perdre de vue le point à atteindre. En restant sincèrement anarchistes, ennemis de l’État sous toutes ses formes, nous avons l’avantage de ne tromper personne, et surtout de ne pas nous tromper nous-mêmes. Sous prétexte de réaliser une petite partie de notre programme, même avec le chagrin d’en violer une autre partie, nous ne serons pas tentés de nous adresser au pouvoir ou d’essayer d’en prendre aussi notre part. Nous nous épargnerons le scandale de ces palinodies qui font tant d’ambitieux et de sceptiques et troublent si profondément la conscience du peuple. »

C’est sur ce mot final que nous nous arrêtons. Nous en avons assez dit. On le voit : la querelle n’est pas entre deux fractions d’un même parti, qui disputent sur des mots. Il s’agit d’une lutte sérieuse de principes, entre un parti d’avenir, qui est socialiste, et rien que socialiste, et un parti politique qui cherche des succès immédiats et qui, par suite, a dû se placer sur le même terrain que tous les autres partis politiques.


En Allemagne, on commençait à faire, dans quelques grandes villes, une propagande qui n’était plus celle de la démocratie socialiste orthodoxe ; et les chefs fulminaient, au nom de la discipline, contre ces « anarchistes » dont les doctrines, « importées de l’étranger », menaçaient de désorganiser le socialisme allemand. En octobre, Emile Werner avait fait à Leipzig une conférence sur « le Congrès de Gand et les principes anarchistes », à la suite de laquelle un certain nombre d’auditeurs ouvriers déclarèrent qu’ils partageaient les idées émises par le conférencier. En décembre, dans la même ville, les démocrates socialistes ayant convoqué une grande assemblée pour recommander la participation aux élections pour le conseil des prudhommes (Gewerbe-Schiedsgericht), Werner proposa une résolution disant que les conseils de prudhommes reposaient sur la théorie bourgeoise de l’harmonie entre le capital et le travail ; et