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n’est pas opportun de vouloir appliquer certains principes avant que les esprits ne soient mûrs pour en accepter l’application et avant que les obstacles ne soient préalablement renversés, alors nous sommes tout ce qu’il y a de plus opportunistes, et nous nous demandons quel est l’homme qui, dans ce cas, n’a pas une certaine dose d’opportunisme. »

À notre tour, nous sentons le besoin de nous expliquer clairement, pour empêcher que le dissentiment de principe qui existe entre nous et les « socialistes brabançons », et ceux qui leur ressemblent, ne soit réduit aux mesquines proportions d’une vaine querelle de mots.

Nous ne reprochons pas aux « socialistes brabançons » d’avoir constaté que certaines idées justes ne peuvent pas encore être pratiquement réalisées, à cause des obstacles qui s’y opposent. C’est là, en effet, une vérité de La Palisse. Jamais aucun révolutionnaire n’a soutenu une thèse contraire. Les obstacles sont trop palpables pour ne pas être sentis ; chacun comprend très bien qu’il faudra les renverser, quand on en aura la force, et que c’est la condition préalable pour la réalisation pratique des idées que nous croyons justes.

Élisée Reclus, un anarchiste, exprimait l’autre jour cette vérité en des termes qui ne laisseront au plus forcené des opportunistes aucun doute sur notre manière de voir à cet égard :

« Certes, disait-il, notre illusion serait grande si, dans notre zèle enthousiaste, nous comptions sur une évolution prochaine des hommes dans le sens de l’anarchie. Nous savons que leur éducation de préjugés et de mensonges les maintiendra longtemps encore dans la servitude. Quelle sera la spirale de civilisation par laquelle ils auront à monter avant de comprendre enfin qu’ils peuvent se passer de lisières ou de chaînes ? Nous l’ignorons, mais, à en juger par le présent, cette voie sera longue[1]. »

Quel est donc le reproche que nous adressons aux « socialistes brabançons » et à ceux qui agissent comme eux ?

C’est de choisir des moyens qui, à notre avis, sont en contradiction complète avec le but qu’ils déclarent vouloir atteindre, et qui les mèneront à tout autre chose qu’à l’émancipation du travail.

Tel est notre grief. Nous ne sommes pas des impatients qui gourmandons les prudents et les réfléchis ; nous sommes des raisonneurs qui tâchons d’être logiques.

Les « socialistes brabançons », de même que les socialistes d’Allemagne, nous annoncent qu’ils veulent, en dernière analyse, la réalisation d’une organisation sociale « qui concilie la plus grande liberté d’action de l’individu avec une appropriation commune des matières premières fournies par le globe et une participation égale de tous dans les avantages du travail commun ».

Et pour atteindre cette forme d’organisation sociale, — qui n’est autre chose, en somme, que l’idéal formulé par les anarchistes, — les « socialistes brabançons » demandent, non la suppression complète du militarisme, mais la transformation des armées permanentes en milices nationales ; non l’organisation de l’instruction intégrale, mais l’introduction de

  1. Le Travailleur, de Genève, numéro de janvier 1878, p. 12.