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française, tient haut et ferme le drapeau du socialisme révolutionnaire, et les articles qu’il a publiés dans ses derniers numéros, entre autres dans celui du 20 courant, sont une excellente réponse aux partisans de l’État ouvrier et du socialisme légal et constitutionnel.


De Paepe publia un plaidoyer pro domo (car c’était lui, à n’en pas douter, qui était l’autour de ce manifeste, qualifié par L. Bertrand de « document important pour l’histoire des idées socialistes en Belgique »), plaidoyer auquel je répondis dans le Bulletin du 11 février. Je reproduis in-extenso cette réponse, afin de bien montrer quelle altitude entendaient prendre les socialistes jurassiens envers ce mouvement nouveau :


Le Dr De Paepe a essayé, dans une revue bi-mensuelle qui paraît à Lugano, le Socialisme progressif[1], de justifier le récent « Manifeste » des socialistes brabançons, et leur tactique, qualifiée par eux-mêmes d’opportuniste.

« Ce mot, dit-il, aurait besoin d’une explication. Si par opportunistes on entend désigner ceux qui trouvent qu’il y a lieu de se montrer autre que l’on n’est, de déclarer que l’on pense ce que l’on ne pense pas, de voiler la vérité parce qu’on la croit inopportune, dans ce cas nous ne voulons pas de l’opportunisme, parce que cet opportunisme c’est le jésuitisme, c’est le mensonge et l’hypocrisie. Mais si par opportunistes on entend désigner ceux qui sont d’avis que la réalisation pratique de certaines idées justes n’est pas encore possible partout et en toutes circonstances, qu’il

  1. C’était une revue que venait de fonder Malon. Je place ici, à ce propos, quatre extraits, les derniers, de lettres de Mme André Léo à Élise Grimm et à Mathilde Rœderer : « Lugano, octobre 1877. Quand ferons-nous la revue le Socialisme progressif ? C’est difficile à dire. Car, si nous avons jusqu’à présent vingt-cinq abonnés, c’est bien le tout, je crois. Il est vrai que nous n’avons encore reçu aucun avis de notre correspondant de Belgique, qui en a promis au moins cinquante. Il nous faudrait un peu moins de deux cents abonnés pour faire les frais. Si nous arrivons à cent, nous chercherons dix actionnaires à soixante francs, et nous marcherons. — Lugano, 17 janvier 1878. Vous devez avoir reçu maintenant deux numéros du Socialisme progressif. Nous avons à peu près assez d’abonnés pour couvrir les frais, mais pas tout à fait. Cette revue n’est pas aussi bien faite qu’il le faudrait. Ce qui nous manque, ce sont deux ou trois bons collaborateurs, pas plus. Nos Belges sont trop abondants et écrivent mal ; ceci entre nous, bien entendu. — Lugano, 12 février 1878. Notre quatrième numéro s’achève... Nous nous sommes embarqués un peu imprudemment, sur la foi de promesses qui ne sont pas tenues, et nous craignons vivement de ne pouvoir finir l’année, faute de fonds. Outre cela, nos abonnés ne paient pas. Il nous en faudrait une soixantaine de plus. — Lugano, 13 mars 1878... Mon union avec Benoît Malon va se rompre, ou plutôt elle est rompue en droit [les mots en droit ont été biffés ensuite par l’écrivain] déjà depuis longtemps ; mais nous sommes à la veille d’une séparation de fait... Le mal, pour mes enfants et pour mes amis, c’est que ce sera un nouveau scandale... De cela, je souffre, pour les miens ; mais je me dis que le bon moyen de réparer une faute, ce n’est pas de la prolonger. J’ai eu tort autrefois, et je ne l’ai jamais nié ; je suis certaine d’avoir raison aujourd’hui. » — Le Socialisme progressif ne vécut pas, à ce que je crois, plus d’un an.
    Il est piquant de rapprocher l’appréciation de Mme André Léo, disant qu’il manque au Socialisme progressif deux ou trois bons collaborateurs, parce que « nos Belges sont trop abondants et écrivent mal », de ce passage d’une lettre de Malon à De Paepe, du 25 mars 1877 (publiée dans la Revue socialiste de novembre 1908) : « La lutte est maintenant ouverte [en Italie] entre le socialisme expérimental dont tu es le chef (je te le dis, parce que c’est vrai) et le socialisme blagueur et braillard de gamins vaniteux que tu connaîtras plus tard ». Ceux que Malon appelait « gamins vaniteux », c’étaient Costa et ses jeunes camarades.