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En Allemagne, dans notre parti, prévaut un mauvais esprit (macht sich ein fauler Geist geltend), non pas tant dans les masses que parmi les chefs, qu’ils appartiennent à la classe supérieure ou à la classe ouvrière (höherklassigen und Arbeitern).

Le compromis avec les lassalliens a conduit à un compromis avec d’autres demi-socialistes (Halbseiten), à Berlin — voir Most — avec Dühring et ses « admirateurs », et de plus avec toute une bande d’étudiants et de docteurs (mit einer ganzen Bande halbreifer Studiosen und überweiser Doktors), qui veulent donner au socialisme une allure « idéale » et « supérieure », c’est-à-dire remplacer la base matérialiste (qui exige une étude objective sérieuse, si on veut opérer sur son terrain) par la mythologie moderne avec ses déesses Justice, Liberté, Égalité et Fraternité. M. le Dr  Höchberg, qui publie la Zukunft, est un représentant de cette tendance et s’est « inscrit » dans le parti[1] — avec les plus « nobles » intentions, je le veux bien, mais je me moque des intentions. Rarement quelque chose de plus misérable que son programme de la Zukunft a vu le jour avec autant de hâblerie.

Les ouvriers eux-mêmes, lorsque, comme Monsieur Most et ses pareils, ils abandonnent l’outil pour devenir des écrivains professionnels, créent toujours du gâchis au point de vue théorique, et sont toujours prêts à se faire les suivants de quelque brouillon de la caste soi-disant « savante ». Le socialisme utopique, avec ses jeux d’imagination sur l’organisation de la société future, — dont nous avions réussi, à si grand peine, à purger depuis bien des années les têtes des ouvriers allemands, ce qui leur avait donné la prépondérance théorique (et, par conséquent, aussi la prépondérance pratique) sur les Français et les Anglais, — sévit de nouveau, mais sous une forme beaucoup plus nulle : on ne peut le comparer à celui des grands utopistes français et anglais, mais à celui de Weitling !...

Le Vorwärts semble avoir pour principe directeur, en ces derniers temps, de recevoir de la « copie » de n’importe qui. Par exemple, dans quelques-uns des derniers numéros, un jouvenceau qui ignore l’abc de la science économique a publié de grotesques révélations sur les « lois » des crises. Il ne révèle rien que sa propre misère intellectuelle. Et maintenant, c’est le tour au présomptueux polisson de Berlin (der nasenweise Bengel von Berlin[2]), à qui l’on permet de faire imprimer, aux frais du « peuple souverain », son humble avis sur l’Angleterre, et les plus grosses bêtises panslavistes, en d’interminables articles, plats et longs comme le ténia (seine unmassgeblichen Gedanken über England and den plattesten Panslawismusblödsian in endlosen Bandwurmartikeln). Satis superque[3] !


Heureusement une Providence tutélaire veillait sur la démocratie socialiste

  1. Hat sich in die Partei « engekauft ». Marx joue sur le mot engekauft. Sich einkaufen signifie « se faire recevoir dans une société en payant le droit d’inscription » ; mais comme le verbe einkaufen emporte avec lui l’idée d’achat, Marx donne à entendre, en plaçant le participe eingekauft entre guillemets, que la fortune du Dr  Höchberg n’a pas été étrangère au bon accueil que le parti lui a fait. La phrase signifie à la fois : « Il s’est inscrit dans le parti » et « Il s’est acheté le parti ».
  2. C’est de Most qu’il s’agit.
  3. « C’est assez et plus qu’assez ! »