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socialiste suisse, ou plutôt, pour lui conserver son nom allemand, d’une organisation appelée Sozialdemokratische Partei in der Schweiz. Le programme de ce parti vient d’être élaboré par une commission qui a siégé à Berne le 18 novembre dernier, et dont la personnalité la plus marquante était Greulich, le rédacteur de la Tagwacht. »

Le Bulletin analyse ensuite les déclarations de principe placées eu tête du programme, déclarations dans lesquelles on avait prudemment évité de toucher à la question de la propriété ; et il montrait que les hommes de l’Arbeiterbund étaient des opportunistes qui voulaient se ménager la possibilité d’une alliance avec le parti radical. Dans le numéro suivant, il faisait voir que les revendications politiques de ce programme ne dépassaient pas l’horizon intellectuel des radicaux, de ces « idéalistes de la bourgeoisie » qui veulent « appliquer à la société future les institutions créées par la bourgeoisie en les perfectionnant ». Quant aux revendications économiques, au nombre de cinq (fondation de sociétés de métier, salaire égal pour les hommes et les femmes, création de bureaux de renseignements, élévation permanente du salaire, fondation de sociétés coopératives de production), le Bulletin (23 décembre) objecta que si deux d’entre elles méritaient d’être approuvées, les trois autres avaient un caractère utopique et décevant : « Ce socialisme -là, conclut-il, n’est pas fait pour causer de bien vives inquiétudes à nos gouvernants ».

Je quitte la Suisse pour achever ce qui reste à dire des pays voisins dans cette fin d’année.


En Italie, un vote de la Chambre chassa Nicotera du ministère, en décembre. Il fut remplacé par Crispi, qu’on disait plus « avancé », mais qui allait montrer bien vite qu’il était seulement plus canaille.

Le 30 décembre, la Chambre des mises en accusation de Naples rendit son arrêt dans l’affaire des insurgés du Bénévent et du Matèse. Elle mit hors de cause les deux prêtres et le paysan qui avait servi de guide ; et, rejetant les conclusions du procureur général, qui envisageait comme des crimes et délits de droit commun l’invasion des communes de Gallo et de Letino, le pillage des caisses publiques, l’incendie des papiers, etc., elle renvoya les trente-quatre socialistes devant la cour d’assises sous la prévention de conspiration et d’attentat ; mais elle qualifia toutefois de crime de droit commun la complicité éventuelle dans le meurtre du carabinier Santamaria, qui, blessé à San Lupo le soir du 5 avril, était mort quatre jours après des suites de sa blessure. Le procureur général fit appel, devant la Cour de cassation de Naples, de l’arrêt de la Chambre des mises en accusation, ce qui allait causer un nouveau retard d’un mois et demi.

Nos amis détenus commençaient à trouver le temps bien long. Je correspondais assez régulièrement avec eux, et dans le courant de l’hiver je leur fis un envoi de livres pour leur procurer quelques distractions. Cafiero, d’un naturel studieux et méditatif, occupa une partie de ses loisirs forcés à écrire un petit ouvrage qui fut imprimé en 1879, après sa libération : c’était un Abrégé (en italien) du Kapital de Karl Marx, fait d’après la traduction française de J. Roy[1]. Marx analysé et commenté par un des insurgés de la bande du Matèse ! voilà à quoi ne s’attendaient guère les gens qui, dans la Tagwacht et le Vorwärts, avaient couvert d’outrages les révolutionnaires italiens. Dans sa préface, datée de mars 1878, Cafiero s’exprime ainsi (je traduis) : « Un profond sentiment de tristesse m’a saisi, en étudiant le Kapital, quand j’ai pensé que ce livre était, et resterait qui sait combien de temps encore, complètement inconnu en Italie. Mais s’il en est ainsi, me suis-je dit ensuite, cela signifie que mon devoir est justement de m’employer de toutes mes forces (a tutt’ uomo) à ce qu’il n’en soit plus ainsi. Et que faire ? Une traduction ? Ah mais non ! Cela ne servirait à rien. Ceux qui sont en état de comprendre l’œuvre de Marx telle qu’il

  1. Il Capitale di Carlo Marx, brecemente compendiato da Carlo Cafiero, publié dans la « Biblioteca socialista » (Volume n° 5) ; Milan, C. Bignami e G., editori. Corso Venezia, 5 ; 128 pages in-16, 1879.