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Dès la fin d’octobre, à la demande de Jules Guesde, le Comité fédéral jurassien avait envoyé aux Conseils fédéraux de toutes les Fédérations de l’Internationale et à quelques amis une circulaire confidentielle[1] pour lui signaler les actes de Dentraygues en France ; nous n’avions pas encore la preuve que celui-ci appartînt à la police, mais nos amis français avaient des soupçons ; et ils nous avaient priés de faire connaître aux internationaux des autres pays les procédés dont usaient en France les « proconsuls marxistes ». On verra (p. 62) combien les défiances des socialistes du Midi étaient justifiées.


Je n’ai pas encore parlé de la vie intérieure de la Fédération jurassienne pendant les trois derniers mois de 1872.

Les élections triennales au Conseil national suisse, qui se firent le 27 octobre, donnèrent lieu à un incident caractéristique. La Société de la Jeunesse libérale du Jura, groupe de jeunes politiciens radicaux, avait publié dans son journal, la Tribune du peuple de Delémont, un appel aux internationaux du Jura, pour les inviter à ne pas délaisser les urnes électorales et à donner leurs voix aux candidats radicaux. Cet appel ne trouva aucun écho, excepté dans la Section de Moutier, dont le président, Henri Favre, était un agent du parti radical ; ce président fit publiquement adhésion, dans la Tribune du peuple, au manifeste de la Jeunesse libérale, en engageant ses amis à l’imiter. Le Bulletin demanda (15 octobre) comment il fallait interpréter cette attitude :


Y a-t-il là un simple malentendu, ou bien y a-t-il une trahison réelle de nos principes ? et les ouvriers de Moutier seraient-ils disposés à quitter le drapeau de la révolution pour pactiser avec les partis bourgeois, comme l’ont fait les hommes du Temple-Unique à Genève, les coullerystes à la Chaux-de-Fonds, et la Section Greulich à Zürich ? Une explication publique serait nécessaire, et nous l’attendons de la Section de Moutier.


Nous l’attendîmes deux mois ; enfin la Section interpellée adressa au Bulletin une lettre (publiée dans le numérodu 1er janvier 1873) disant que ses membres avaient pris part à la campagne électorale avec la Jeunesse libérale, et voté pour le candidat radical, parce que celui-ci avait promis qu’il soutiendrait au Conseil national les revendications ouvrières ; elle ajoutait : « Si nous ne partageons pas votre manière de voir en vous suivant sur le terrain révolutionnaire, soyez persuadés que nous n’en restons pas moins unis dans toutes les questions d’organisation qui tendent à améliorer la position des travailleurs. La Section de Moutier, en vous exposant franchement sa manière de voir, a aussi un devoir à remplir : c’est celui de remercier publiquement les organisateurs et membres du Comité fédéral jurassien pour l’énergie et le dévouement dont ils font preuve pour la cause des prolétaires[2]. Salut et fraternité. »

Le 3 novembre eut lieu une assemblée générale de la Fédération ouvrière du Val de Saint-Imier ; des résolutions relatives à la résistance, au travail et à l’échange, aux subsistances, à l’enseignement et à la propagande, y furent adoptées ; elles furent publiées dans le Bulletin du 10 novembre.

  1. Dans son calendrier-journal, Bakounine note le 27 octobre la réception de la « circulaire jurassienne confidentielle ».
  2. On le voit, les ouvriers de Moutier, qui connaissaient les ouvriers du Val de Saint-Imier et les voyaient à l’œuvre depuis plusieurs années, savaient leur rendre justice : ils ne les appelaient pas les grands-prêtres de Sonvillier.