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Que ferait-on en présence d’un cas semblable ? Ne faudra-t-il pas que la volonté populaire, exprimée au moyen d’un vote général, prononce sur le conflit, et que le gouvernement soit chargé d’imposer cette volonté aux récalcitrants ?

Brousse et Guillaume, répondant à Greulich et à De Paepe, dirent que ceux-ci oubliaient, dans l’organisation de leur société communiste, un élément essentiel, la liberté. Si la propriété passe simplement des mains des capitalistes aux mains de l’État, le salariat est à la vérité transformé, mais non aboli : le travailleur deviendra le salarié de l’État, et ne sera pas plus libre qu’il ne l’était dans la fabrique du capitaliste. La crainte de voir les groupes qui détiendraient les instruments de travail s’en faire un monopole et exploiter les consommateurs, est chimérique ; car si, d’une part, la prise de possession du capital par les groupes constitue un fait révolutionnaire nécessaire et le point de départ de toute l’organisation sociale nouvelle, il ne faut pas perdre de vue qu’immédiatement ces groupes seront forcés de s’entendre entre eux pour se garantir mutuellement cette possession, de se concerter, de se faire des concessions, de jeter, en un mot, les bases d’un contrat réglant les conditions de la production et de l’échange : ce contrat placera les groupes dans une dépendance mutuelle à l’égard les uns des autres, et la constitution d’un monopole au profit d’un groupe serait chose complètement impossible. Quant à la supposition d’un groupe qui voudrait s’isoler de la société, faire bande à part, et qui dirait aux autres groupes : « Je me moque de votre statistique », c’est une hypothèse absurde ; et si quelques insensés essayaient d’une pareille tentative, la force des choses les aurait ramenés à la raison au bout de quelques jours.

De Paepe fait quelques objections au système de la possession des instruments de travail par les groupes ; il craint qu’il surgisse de là des contestations, des conflits. Le meilleur moyen de créer, dans la société, la dépendance mutuelle des producteurs, ce sera le fait que la propriété appartient à l’ensemble, mais que telle corporation peut seule la faire fructifier. De Paepe reconnaît du reste que l’harmonie sociale résultera de contrats à établir, d’une part, entre chaque groupe et l’ensemble, d’autre part entre les divers groupes spécialement intéressés à telle ou telle affaire : il est en désaccord ici avec Greulich, pour qui le vote populaire est le moyen unique et infaillible de résoudre toutes les questions. Il reconnaît aussi que l’État populaire pourrait effectivement, dans certains pays et pendant un certain temps, n’être qu’un État de salariés ; et un État de salariés, s’il devait se perpétuer sous cette forme, mériterait, dit-il, d’être renversé par le peuple tout comme l’État bourgeois ; mais, aux yeux de De Paepe, ce ne sera là qu’une phase transitoire imposée peut-être par les circonstances, et, dès que les associations de producteurs auront pu être constituées, l’État cessera de faire travailler directement les ouvriers, et remettra aux associations elles-mêmes les instruments de travail, pour les faire fructifier aux conditions qui auront été stipulées entre lui et les groupes de travailleurs. — Comme on le voit, la théorie de De Paepe tient le milieu entre celle qu’a développée Greulich et celle que défendent les anarchistes.


La discussion, qui avait été un peu languissante et froide le matin, parce qu’elle avait roulé exclusivement sur des choses abstraites, s’anima dans la