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loquence d’aucun avocat. Mais, pour nous orienter dans le maquis de la procédure, nous pouvions avoir besoin de consuller un juriste : le gendre d’Adolphe Vogt, le jeune avocat Édouard Müller, que je connaissais depuis 1873 (voir tome III, p. 141), nous offrit ses services, et nous les acceptâmes.

Le compte-rendu du procès est imprimé tout au long dans un numéro double du Bulletin (no 33-34), qui porte la date du 20 août[1]. Je ne puis songer à le reproduire ici : je me bornerai à mentionner quelques épisodes saillants.

Sur les vingt-neuf prévenus cités, quatre n’étaient pas présents : Voges, passementier, et Tailland, menuisier, l’un et l’autre domiciliés précédemment à Berne, et qui avaient quitté cette ville depuis plusieurs mois ; le Dr Reber, de Saint-Imier, qui avait changé de résidence et auquel la citation n’était pas parvenue ; et Henri Eberbardt, graveur, de Saint-Imier, qui faisait défaut.

Des vingt-cinq prévenus présents, dix habitaient Berne, un Zürich, six Saint-Imier, quatre Sonvillier, un Bienne, un la Chaux-de-Fonds, un Neuchâtel, et un Lausanne.

« Le tribunal, composé de cinq membres, — dit le Bulletin, — est présidé par M. Haggi. L’organe du ministère public est M. Wermuth. M. Sahli, président du Grand-Conseil bernois, se présente comme avocat de quatre gendarmes (Lengacher, Lerch, Corbat et Wenger) et de deux bourgeois (Gortner et Kolb), qui se portent partie civile et réclament des dommages-intérêts. Un certain nombre de prévenus ne parlant pas l’allemand, un interprête est chargé de traduire.

« Vu le nombre considérable des prévenus et celui plus grand encore des témoins, les débats ont lieu, non dans la salle ordinaire des audiences de la police correctionnelle, mais dans la grande salle des assises, au Standesrathhubs. Un nombreux public se presse dans la partie de l’enceinte qui lui est réservée.

« Sur une table devant le tribunal sont placés, comme pièces de conviction, le drapeau rouge de Berne brisé dans la lutte, une canne à épée, des assommoirs, des Schlagringe (coups de poing), un couteau de poche, un pistolet Flobert. »

La journée du jeudi 10 août, de huit heures du matin à midi et demi et de deux heures à six heures, fut consacrée à l’audition des rapports du préfet et de l’inspecteur de police, à celle de la partie civile, puis à celle d’une partie des témoins. Je détache du compte rendu trois passages. Le premier est relatif à une assertion des gendarmes Lerch et Lengacher, qui avaient reçu, le premier, un coup de stylet, le second une blessure à la tête, et qui se portaient partie civile :


Le gendarme Lerch réclame des dommages-intérêts pour un coup de stylet qu’il a reçu à la poitrine. Ce coup, à ce que lui a affirmé un gendarme, lui a été porté par un des deux individus qui ont été incarcérés (Ulysse Eberhardt ou Rinke).

Ulysse Eberhardt. Il me semble que le gendarme Lerch doit avoir vu celui qui lui a porté le coup de stylet. Il prétend qu’on lui a dit que c’était Rinke ou moi ; je lui demande s’il m’a vu le frapper ?

Lerch. Je n’ai pas vu l’individu qui m’a porté le coup : seulement on m’a dit ensuite que cet individu avait été arrêté.

Le gendarme Lengacher… est sûr que le coup de stylet reçu par le gendarme Lerch a été donné soit par Rinke, soit par Eberhardt.

  1. Je crois que Kropotkine me fournit des notes pour ce compte-rendu ; Schwitzguébel aussi, qui figura au procès comme témoin ; et Robin également. Le 14 août, Brousse écrivait à Kropotkine ce qui suit : « Ta présence à Berne me semble indispensable. D’abord pour le compte-rendu ; songe ensuite que James, Werner, moi, pouvons être immédiatement arrêtés, et qu’alors sur Pindy et Montels roulera le soin du Congrès français, sur Robin et toi celui de rédiger tous nos journaux. » Robin écrivait à Kropotkine le même jour, de Sonvillier : « Peut-être viendras-tu demain ici pour partir le soir à Berne avec ceux de Sonvillier et de Saint-Imier ? J’irai vous rejoindre par le premier train de jeudi matin. »