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émeutes populaires, et ont prit la résolution non-seulement d’étouffer celles que leurs propres amis, cinglés par la misère, pourraient tenter, mais aussi de rire et de se moquer de celles que défendent les hommes qui, n’ayant pas changé, croient que le peuple en sait plus qu’eux et le suivent fidèlement même dans ses tentatives les plus insignifiantes en apparence.

Nous avons à supporter aujourd’hui le spectacle dégoûtant dont nos pères furent témoins en France à l’époque des Blanqui, des Barbès, et dont nous avons été témoins nous-mêmes pendant les dernières annés de l’empire, alors que Flourens vivait. Les radicaux français, qui voulaient bien être députés de la république, mais qui étaient peu jaloux de mourir pour elle, blâmaient les tentatives insurrectionnelles de Barbès, de Blanqui. riaient des « barricades en carton » de Flourens, de ces « folies » qu’ils avaient au moins la pudeur d’appeler « héroïques ». C’est cependant grâce à ces émeutes et à l’émotion qu’elles ont produite, que l’idée républicaine a pénétré les masses françaises, que la république va être établie, et que les mêmes radicaux vont pouvoir se partager le gâteau. La preuve, c’est que, dans la mansarde ou dans la chaumière, on voit les portraits de Barbès ou de Flourens, et qu’on ne trouve presque jamais ceux des républicains qui réussissent, ce qui ne prouve pas que le peuple réussisse avec eux, soit dit en passant.

De même, aujourd’hui, les socialistes révolutionnaires cherchent, par des émeutes dont ils prévoient parfaitement l’issue, à remuer la conscience populaire, et ils y arrivent. Les socialistes opportunistes blâment ces émeutes, ils les appellent des Putsch ; ils en rient, les tournent en ridicule à la grande joie de la bourgeoisie qui les craint, au moment même où ceux qui y ont pris part partent pour la Sibérie, ou passent devant les tribunaux, pour s’entendre condamner parfois à la prison perpétuelle. Les radicaux français et italiens leur donnent des leçons de convenance.

Mais laissons aux remords de leur conscience les socialistes opportunistes, et demandons-nous le sens qu’il faut attribuer à ces actes : Kazan, Bénévent, Berne. Les hommes qui ont pris part à ces mouvements espéraient-ils faire une révolution ? Avaient-ils assez d’illusions pour croire à la réussite ? Non, évidemment. Dire que telle était leur pensée serait les mal connaître, ou, les connaissant, les calomnier. Les faits de Kazan, de Bénévent, de Berne, sont des actes de propagande tout simplement.



L’article passe ensuite en revue les moyens de propagande qu’ont employés précédemment les socialistes : la propagande d’individu à individu, la propagande par la réunion publique ou la conférence, la propagande par le journal, la brochure ou le livre. Ces moyens ne sont adaptés qu’à la propagande théorique ; en outre, ils deviennent de plus en plus difficiles à employer d’une façon efficace, en présence de ceux dont la bourgeoisie dispose, avec ses orateurs formés au Barreau et sachant enjoler les assemblées populaires, avec sa presse vénale qui calomnie et travestit tout. Il a fallu trouver autre chose :


De quoi se composent les masses ? De paysans, d’ouvriers travaillant la plupart du temps onze et douze heures par jour. Ils rentrent au logis si exténués de fatigue, qu’ils ont peu envie de lire des brochures ou des journaux socialistes : ils dorment, se promènent, ou consacrent leurs soirées à la famille.