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secouant la tête, lui répétait à chaque fois : « Mon enfant, vous avez tort ; vous mourrez sur la paille ». Les ouvriers allemands qui se groupaient autour de l’Arbeiter-Zeitung voulaient se constituer en un parti nouveau, nettement distinct de la Sozialdemokratische Arbeiter-Partei d’Allemagne ; dans le courant d’avril ils élaborèrent, de concert avec Kropotkine, les statuts de ce parti ; Kropotkine fut chargé de mettre les idées communes par écrit, et il rédigea un projet qu’il envoya à Berne à la fin d’avril. Brousse lui écrit à ce propos, le 1er mai : « En ce qui concerne le programme du parti nouveau allemand, je l’étudierai avec soin, mais la chose me sera impossible avant deux ou trois jours. Au moment où je trace ces lignes, nous recevons à ce sujet une lettre de Reinsdorf[1], que Landsberg trouve bonne et qu’elle va vous envoyer dès qu’elle m’en aura traduit le contenu. » Werner écrit à Kropotkine, le 4 mai (en allemand) : « J’ai reçu votre lettre du 28 avril ; Rinke et moi nous nous sommes entendus pour partir ensemble dimanche par le premier train. Rinke voudrait que l’assemblée pût avoir lieu le dimanche après-midi, pour qu’il pût rentrer le même soir, car la semaine prochaine le jeudi est encore un jour férié (l’Ascension), et il est un peu pressé par le travail… Quant au projet envoyé par vous, je ne l’ai pas encore vu ; j’espère pouvoir le lire et le discuter avec Rinke avant dimanche… En ce qui concerne le nom, il me semble que « Parti anarchiste communiste de langue allemande » (anarchische kommunistische Partei deutscher Sprache) vaudrait mieux que « Parti anarchiste communiste allemand » (deutsche anarchische kommunistische Partei), parce que cette dernière expression semble enfermer le parti dans les frontières d’une nationalité politique, ce que je trouve fâcheux. » Une fois que le projet eut été adopté par les initiateurs, on l’imprima en une feuille volante (dont je possède un exemplaire), sous le titre de Statuten der deutschredenden anarchisch-kommunistischen Partei : il comprend huit articles, dont le premier est ainsi conçu (je traduis) : « Pour réunir les éléments épars, de langue allemande, qui reconnaissent le principe anarchiste-communiste, il est fondé un Parti anarchiste-communiste de langue allemande, qui appartient à l’Association internationale des travailleurs ». Un bureau de correspondance, formé de trois membres élus chaque année par les membres du parti, devait faciliter les relations entre les adhérents.


Le Congrès du Parti socialiste allemand, je l’ai dit, devait s’ouvrir à Gotha le 26 mai. Brousse et ses camarades allemands avaient engagé Reinsdorf à s’y rendre ; dans une lettre à Kropotkine, écrite le 22 mai, Brousse dit : « J’ai écrit à Reinsdorf en lui envoyant cinquante francs et en lui faisant un devoir d’aller à Gotha. Après tout, il a assez voyagé par caprice pour qu’une fois par hasard il perde son travail et voyage pour la cause. » Le 23, Brousse récrit : « Reinsdorf écrit qu’il ne peut pas aller à Gotha. C’est déplorable ! la seule occasion où nous pouvions nous créer des aboutissants dans le parti opposé aux autoritaires allemands ! Ne connaitriez-vous aucun Russe en Allemagne qui pût relativement faire notre affaire ? » Nous eûmes un correspondant (j’ai oublié qui c’était) qui assista au Congrès et nous fit part de ses impressions. À propos d’une discussion sur les agitateurs (propagandistes) salariés par le Parti, ce correspondant écrivait : « Le délégué Hartmann a dit entre autres que beaucoup d’agitateurs, qui reçoivent un salaire de deux thalers et demi (9 fr. 35) par jour, ne veulent pas, pour ce prix, aller parler dans des réunions en dehors de leur circonscription électorale ; si on veut obtenir d’eux ce service, ils réclament alors trois thalers (11 fr. 25) par jour. Les questions de personnes et d’argent jouent dans cette affaire un rôle prépondérant. » Plus loin, il notait ce détail : « Lecture est faite d’une adresse de Bruxelles, signée de De Paepe et d’un autre ; elle déclare qu’il y a entente complète, tant sur la tactique que sur les principes, entre les signataires et le parti socialiste d’Allemagne ». — Il y eut un incident Engels-Dühring : Engels avait commencé dans le Vorwärts la publication d’une série d’articles contre Dühring et sa doctrine, « articles à la fois pédantesques et injurieux, inintelligibles pour l’immense majorité des

  1. Reinsdorf avait quitté la Suisse et était rentré en Allemagne.