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avaient été arrêtés et se trouvaient détenus au poste de gendarmerie : c’étaient les compagnons Ulysse Eberhardt, guillocheur, de Saint-Imier, et Rinke, serrurier, de Berne. Ces deux compagnons, ayant remarqué un groupe de gendarmes qui se sauvaient avec le drapeau rouge [de Schwitzguébel] dont ils avaient réussi à se saisir, les avaient poursuivis, et bientôt, se trouvant éloignés de leurs camarades et seuls aux prises avec ce groupe, ils s’étaient vus prisonniers. La commission chercha inutilement à voir le préfet, et, après une course infructueuse, elle revint au local du meeting.

Là, comme on prétendait que le préfet se trouvait dans le public, le président de l’assemblée pria M. de Wattenwyl, s’il était présent, de bien vouloir passer dans une salle voisine, pour que les membres de la commission pussent conférer avec lui. Cette invitation n’eut aucun résultat. Mais, une heure plus tard, quelques-uns des nôtres ayant découvert le préfet dans le voisinage du local du meeting, il fut enfin possible à la commission de l’aborder.

Dans cet entretien, M. de Wattenwyl reconnut formellement que les gendarmes qui avaient assailli Schwitzguébel pour lui arracher le drapeau rouge avaient agi sans ordres[1], et que rien ne motivait leur agression, puisqu’à ce moment même Schwitzguébel et lui causaient tranquillement. Quant aux deux prisonniers, il déclara qu’il ne pourrait les relâcher que le lendemain, après qu’ils auraient subi un interrogatoire ; mais il donna à la commission l’autorisation écrite de communiquer avec les deux captifs, qui avaient l’un et l’autre reçu un coup de sabre.

Un membre de la commission rappela au préfet que, ainsi que l’a fait constater un récent procès, les gendarmes de Berne ont l’ignoble habitude de battre leurs prisonniers dans l’intérieur du poste, et il exprima des inquiétudes sur la sécurité des deux ouvriers arrêtés. Le préfet protesta que pas un cheveu de leur tête n’avait dû être touché, et que c’était faire injure aux gendarmes que de les croire capables d’une pareille lâcheté.

Là-dessus, deux membres de la commission se rendirent au poste de gendarmerie, munis d’une autorisation écrite du préfet ; ils virent les prisonniers, dont l’un, Eberhardt, leur raconta qu’à son arrivée au poste il avait été roué de coups de poing et de coups de pied par les gendarmes, — en dépit des affirmations optimistes de M. de Wattenwyl.

À ce moment survint le préfet, qui avait changé d’avis nous ne savons pour quel motif : renonçant à retenir les prisonniers jusqu’au lendemain, il ordonna leur mise en liberté immédiate.

Pendant ce temps, le meeting continuait à la Länggasse. De nombreux orateurs se succédaient, racontant les détails de la bagarre, protestant contre l’agression de la police, et constatant que, malgré cette agression, les socialistes avaient maintenu jusqu’au bout leur droit. La foule qui se pressait dans l’enceinte était énorme ; les discours des orateurs étaient accueillis par des applaudissements enthousiastes, auxquels se mêlaient quelques

  1. Néanmoins, au procès, le sous-officier de gendarmerie (Wachtmeister) qui, au témoignage d’Ulysse Eberhardt, avait le premier porté la main sur le drapeau, dit : « Les gendarmes ont reçu l’ordre d’enlever les drapeaux, ils ont obéi ». Il est probable que l’ordre fut donné par l’inspecteur, M. de Werdt, qui lui-même essaya, comme on l’a vu, de saisir le drapeau de Zürich.