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quelques gendarmes, paraît-il, avaient réussi à l’emporter en s’enfuyant[1].

Au milieu de la cohue, on ne pouvait pas songer à reformer un cortège régulier ; d’ailleurs, les socialistes avaient aussi des blessés, qu’il fallait soigner, et dont plusieurs avaient reçu des coups de sabre. Le gros de la manifestation reprit sa marche, et arriva au bout de quelques minutes au local du meeting. Une foule compacte envahit aussitôt la salle et les galeries, et le drapeau rouge (celui de Zürich) fut reçu par d’enthousiastes acclamations.

Le bruit s’était répandu que la police avait réussi à faire quelques arrestations parmi les traînards ; aussi le premier soin du meeting fut-il de nommer une commission de quatre membres, chargée de s’enquérir s’il y avait oui ou non des socialistes arrêtés, et, en cas d’affirmative, de réclamer leur mise en liberté.

Cette commission se rendit en ville, et apprit bientôt que deux socialistes

  1. Ils furent poursuivis par plusieurs de nos camarades, entre autres Ulysse Eberhardt, Rinke, Gevin (venu de Bâle) et Pindy. Eberhardt et Rinke, aussitôt entourés par les gendarmes, et blessés l’un et l’autre d’un coup de sabre, furent arrêtés et conduits au poste, où les policiers les maltraitèrent. Pindy essaya de reprendre à deux gendarmes le drapeau, dont la hampe, brisée dans le corps à corps, lui resta seule entre les mains.
    Voici le récit que m’a envoyé Pindy de la part prise par lui à la lutte qui s’était engagée autour du drapeau ; on y trouvera quelques détails complémentaires : J’étais à la queue de la colonne, avec ceux de la Chaux-de-Fonds, lorsque nous nous aperçûmes de la bagarre qui se produisait, mais nous ne fûmes pas les derniers à nous y mêler. Jeallot et Ferré, blessés tous deux à la tête, et Baudrand, qui venait d’assommer une sorte de paysan avec son propre parapluie, avaient suivi le gros du cortège se dirigeant vers le restaurant Jeangros, et je restais seul sur le champ de bataille en face de deux gendarmes à qui je disputais notre drapeau. J’avais dans ma poche gauche intérieure un casse-tête, mais je ne pouvais le saisir, ma main droite étant pour ainsi dire emprisonnée dans les plis mêmes du drapeau ; le gendarme qui me faisait face passa son genou entre mes mains et brisa la hampe, dont un bout me resta dans la main gauche, et dont je me servais pour lui taper dessus, lorsque je fus empoigné par derrière par un cocher d’hôtel qui me fit tourner sur moi-même, mais sans me faire tomber.
    « Je me mis à courir après le gendarme voleur, lorsqu’à quelques pas je vis un camarade de Bâle dont je ne me rappelle pas le nom : c’était, je crois, un artiste peintre. Français aussi ; il était pris au collet par un autre gendarme qui voulait l’emmener ; en me jetant entre eux, je fis lâcher prise au policier, qui se mit à courir après celui qui tenait notre drapeau, et le camarade et moi nous les suivions, toujours courant, le long de la rue de la Justice.
    « À quelque distance du poste nous croisâmes Charles Perron, lequel avait suivi, en protestant, une escouade de policiers qui entraînaient deux camarades, Eberhardt, de Saint-Imier, et le serrurier Rinke, Allemand, qui avait travaillé précédemment à la Chaux-de-Fonds en même temps que Reinsdorf. Perron nous conseilla de ne pas nous risquer trop près du poste, notre qualité d’étrangers pouvant nous attirer des ennuis ; quant à lui, il entra au poste, et ne revint que plus tard, nous rejoindre à la réunion. »
    Le membre de la Section de Bâle dont parle Pindy était le peintre A. Gevin.