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croit libre, ne s’aperçoit pas de sa servitude économique, et se laisse docilement embrigader par les charlatans politiques qui ont besoin de lui pour escalader le pouvoir ; — si vous viviez dans ce milieu-là, vous éprouveriez sans doute comme nous le besoin de protester contre l’immorale comédie du suffrage universel, et de répéter aux ouvriers de notre pays que la première chose à faire, pour travailler à leur émancipation, est de se débarrasser des intrigants politiques qui cherchent à escamoter les questions sociales, et que, pour se débarrasser d’eux, le moyen le plus simple est de leur refuser leurs votes. Si les ouvriers de Paris n’avaient pas voté autrefois pour Jules Favre, Jules Simon et autres de la même clique, ils ne fussent pas devenus plus tard les victimes de ces misérables, dans lesquels ils s’étaient donné des maîtres en leur accordant leurs suffrages.

Du reste, nous vous le répétons, nous reconnaissons de la façon la plus complète le droit des ouvriers anglais à adopter une tactique différente, et nous croyons même qu’il est utile qu’ils tentent cette expérience. Nous verrons ainsi qui de vous ou de nous atteindra le plus vite et le plus sûrement le but, et les premiers arrivés tendront la main à leurs frères restés en arrière.

Ce que nous vous disons en ce moment, nous le disions déjà en 1870, au moment où l’on nous représentait à vous comme des doctrinaires intolérents ; et si alors nous avions pu, comme aujourd’hui, correspondre directement avec vous sans passer par l’intermédiaire de la police secrète de M. Marx, bien des choses fâcheuses eussent été évitées. Permettez-nous de vous citer ce que disait, sur cette question, notre organe d’alors, la Solidarité ; vous verrez si notre langage n’était pas absolument conforme à celui que vous tenez vous-mêmes à cette égard dans votre lettre :

« Nous devons compter avec les faits existants, disait la Solidarité (numéro du 4 juin 1870). Et c’est pourquoi nous déclarons que si les Anglais, les Allemands, les Américains ont un tempérament qui leur fait voir les choses autrement que nous, si leur conception de l’État diffère de la nôtre, si enfin ils croient servir la cause du travail au moyen des candidatures ouvrières, nous ne pouvons pas leur en savoir mauvais gré. » [Suit la reproduction du passage de la Solidarité, jusqu’à la fin de l’article, qui se termine ainsi : « Rappelons-nous... que ce qui convient à certains groupes d’hommes peut n’être pas approprié à d’autres, et laissons chaque groupe choisir en toute liberté l’organisation, la tactique et la doctrine qui résultent pour lui de la force des choses[1] ».]

Voilà ce que disaient, il y a deux ans et demi, les doctrinaires du Jura. Jugez s’ils méritaient d’être anathématisés comme des agents de discorde, ou si leur esprit était conforme, dès cette époque, aux vrais principes de l’Internationale.

Les faits que vous nous racontez au sujet de la conspiration jésuitique organisée par MM. Marx et Engels ; ce fait incroyable, entre autres, que les adresses des Fédérations du continent restaient un secret pour ceux qui n’étaient pas du complot, et que le secrétaire du Conseil général n’a

  1. Ce passage a été donné en entier au t. II, p. 43, où le lecteur pourra le retrouver.