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Pendant cet hiver nous gagnâmes les sympathies d’un grand nombre ; mais notre travail régulier était fort contrarié par une crise dans l’industrie horlogère. La moitié des ouvriers étaient sans travail ou occupés seulement une partie du temps, en sorte que la municipalité fut obligée d’ouvrir des cuisines fournissant des aliments à bas prix. L’atelier coopératif établi par les anarchistes à la Chaux-de-Fonds[1], dans lequel les gains étaient divisés également entre tous les membres, avait une grande difficulté à se procurer de l’ouvrage, malgré sa haute réputation, et Spichiger dut à plusieurs reprises, pour gagner sa vie, avoir recours à un tapissier qui l’occupait à carder de la laine[2].


Un révolutionnaire russe, qui avait quitté la Russie en 1874 en même temps que Kraftchinsky, avait rejoint Kropotkine à la Chaux-de-Fonds, et y résida quelque temps avec lui : nous le connaissions sous le nom de Lenz, et Kropotkine lui-même se faisait appeler Levachof.

À Lausanne, il y eut le samedi 20 janvier une assemblée ouvrière, présidée par le cordonnier Exquis, dans laquelle Joukovsky et Œlsnitz, exposèrent les principes de l’Internationale. D’autres réunions du même genre eurent lieu les samedis suivants.

À Neuchâtel, outre les séances régulières de la Section, on organisa chaque mois, autant que possible, une conférence publique. La première fut faite le lundi 22 janvier, par Joukovsky, sur la « question d’Orient ». Les années précédentes, les conférences socialistes avaient eu lieu au Cercle du Grütli ; mais la Section du Grütli ayant eu à renouveler son bail, le propriétaire de l’immeuble, un patricien bernois, M. de Bonstetten, profita de la circonstance pour introduire dans le bail un article portant qu’il était interdit à la Société du Grütli de prêter son local à d’autres sociétés [lisez : à l’Internationale). Il fallut donc se rabattre, en 1877, sur le local, moins vaste et moins commode, du Cercle des ouvriers, rue des Moulins.

À Vevey, Joukovsky répéta le 29 janvier sa conférence sur la question d’Orient. La Section de Vevey, où se trouvaient Élisée Reclus et Perron, remuait beaucoup d’idées. En décembre, à la suite de discussions sur les meilleurs moyens à employer pour propager l’instruction dont les masses populaires avaient besoin, elle avait adressé aux autres sections de la Fédération jurassienne une circulaire (publiée dans le Bulletin du 10 décembre 1876) où on lisait :


Nous sommes bien loin de nous être assuré l’instruction qui nous est nécessaire pour lutter avec avantage contre les oppresseurs. Par une sanglante ironie du sort, c’est à eux qu’il nous faut même demander ce que nous apprenons. La plupart d’entre nous sont encore forcés d’envoyer leurs enfants dans des écoles où des hommes, aux gages de la bourgeoisie, travaillent à pervertir le bon sens et la morale en enseignant non les choses de la science, mais les fables impures du christianisme, non les vertus de l’homme libre, mais les pratiques de l’esclave.


Et elle soumettait aux membres de la Fédération les questions suivantes :

  1. L’atelier coopératif des graveurs et guillocheurs, créé au Locle en 1869, à la suite d’une grève, et transporté à la Chaux-de-Fonds en 1874, était en liquidation, et c’était Auguste Spichiger qui avait été désigné comme liquidateur. Il s’était reconstitué un autre atelier coopératif, formé de quatre membres seulement : trois graveurs, Frédéric Graisier, Jacob Spichiger et Nicolet, et un guillocheur, Auguste Spichiger ; cet atelier se trouvait rue de la Demoiselle, 14 a.
  2. À propos de ce passage de Kropotkine, Auguste Spichiger m’a écrit (19 avril 1908) : « Pendant mes moments de chômage, j’allais en effet souvent aider notre camarade Baudrand, tapissier ; il m’employait entre autres à carder de la laine et du crin ».