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de certains de ces droits octroyés par la révolution bourgeoise de 1880, pourquoi serait-il mauvais de faire usage des autres, si c’est pour un but louable, honorable, juste, humanitaire ?


Le Bulletin fit suivre la lettre de De Paepe des observations suivantes :


Une première observation se présente à notre esprit, à propos du dernier passage de cette lettre. Il nous paraît que l’assimilation établie entre ce qu’on appelle le droit de pétitionnement, d’une part, et la liberté de la presse et de réunion, d’autre part, est parfaitement inexacte. Quand des citoyens adressent une pétition à une autorité législative, ils se placent volontairement, vis-à-vis de cette autorité, dans la condition de sujets dociles, et leur acte est une reconnaissance officielle de la légalité de l’autorité à laquelle ils demandent la confection d’une loi. Mais quand des socialistes parlent, écrivent, s’assemblent, c’est bien autre chose : ils usent d’un droit naturel, non d’un droit octroyé ; les lois bourgeoises peuvent les laisser faire ; mais elles peuvent aussi les persécuter, et alors les socialistes n’en font pas moins ce que bon leur semble, à leurs risques et périls. Le pétitionnement, c’est du parlementarisme ; le fait de ne pas craindre d’exprimer sa pensée ou de former des associations, c’est un fait qui n’a, par lui-même, aucun caractère légal ou constitutionnel.

La lettre de De Paepe nous apprend une chose qu’il est bon de noter : c’est que, parmi les socialistes belges qui ont consenti à donner leur appui au mouvement, il en est qui désirent que le mouvement n’aboutisse à aucun résultat, que la législature bourgeoise fasse la sourde oreille, afin que le peuple devienne plus révolutionnaire.

Nous sommes heureux de constater que le sentiment révolutionnaire n’est pas éteint chez les ouvriers de Belgique, et qu’une partie d’entre eux, en prenant part au pétitionnement, croient travailler pour la révolution. Mais nous craignons qu’ils ne se fassent des illusions : une fois qu’on a mis le doigt dans l’engrenage parlementaire, il n’est plus facile de revenir en arrière. Les Flamands, au contraire, de chez qui le mouvement est parti, sont logiques ; ils veulent aller jusqu’au bout, et le pétitionnement n’est à leurs yeux qu’un premier pas pour arriver à faire élire à la Chambre des députés socialistes. Une lettre de la Section internationale de Gand, adressée l’autre jour au Vorwärts de Leipzig et publiée par ce journal, le dit clairement : « Nous, ouvriers de Belgique, lit-on dans cette lettre, nous voulons suivre l’exemple de nos frères allemands, et nous espérons, dès que nous aurons conquis le suffrage universel, commencer aussi chez nous la lutte contre la bourgeoisie » (dans le Parlement, évidemment).

Un membre de la Fédération jurassienne, le citoyen Élisée Reclus, auquel la lettre de De Paepe a été communiquée par la personne à qui elle est adressée, écrit à ce sujet : « La lettre intéressante de De Paepe ne m’a pas convaincu. Autre chose est d’observer un mouvement et de l’utiliser au besoin, autre chose est d’y prendre part. Quand on s’engage dans la voie du pétitionnement, il est difficile de rentrer dans celle de la Révolution. »

Naturellement, nous n’avons pas la prétention de faire la leçon à nos frères de Belgique ; nous reconnaissons pleinement leur droit de choisir eux-mêmes les moyens qu’ils croient les meilleurs pour arriver à l’éman-