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Dans une réunion qui eut lieu, en décembre, au Deutscher Arbeiterverein, à Genève, on échangea des explications sur la véritable signification de ces élections. Deux des candidats ouvriers élus, Lichtenberg et Hoferer, étaient présents. Lichtenberg déclara qu’il considérait les élections à la fois comme moyen de propagande et comme moyen d’émancipation pour les ouvriers : en Suisse, dit-il, on possède la liberté de la presse, le droit de réunion et d’association ; aucun obstacle n’empêcherait donc le peuple suisse d’établir immédiatement la République sociale ; il ne lui manque que la compréhension des choses. Hoferer expliqua la nécessité d’une alliance des ouvriers avec les radicaux : « Nous n’avions, dit-il, le choix qu’entre ces deux alternatives : ultramontains ou radicaux ; nous avons donné la préférence à ces derniers, parce qu’ils offraient à notre parti dix sièges ; c’est là une faveur que les radicaux nous ont faite, car sans notre concours leur liste aurait passé tout de même ».

Kachelhofer et Franz publièrent dans la Tagwacht, au nom d’un groupe de membres de l’Arbeiterbund, un article blâmant l’alliance électorale conclue à Genève. « Une alliance de ce genre, dirent-ils, ne peut qu’enraciner dans les ouvriers suisses la triste habitude de tirer les marrons du feu pour la bourgeoisie, et gâter d’avance le terrain pour la constitution d’un parti ouvrier indépendant… Si les ouvriers veulent participer aux élections, ils doivent toujours avoir leurs listes de candidats à eux. L’important, ce n’est pas de gagner quelques sièges dans les assemblées, c’est d’éveiller chez les ouvriers la conscience de leur existence comme classe spéciale… Nous sommes bien résolus, de ne pas permettre plus longtemps, en ce qui nous concerne, que le mouvement ouvrier suisse soit exploité, à dessein ou inconsciemment, pour en faire un marche-pied à l’un ou à l’autre des partis bourgeois. »

Le Bulletin reproduisit une partie de cet article, en ajoutant :

« Bravo ! voilà qui s’appelle parler. Avec des hommes qui pensent de la sorte, nous pourrons marcher d’accord, quelles que soient d’ailleurs les divergences théoriques qui nous séparent sur des questions d’avenir. »

Mais la Tagwacht avait supprimé, en la remplaçant par une ligne de points, une phrase de l’article de Franz et de Kachelhofer, et cette suppression fut relevée par le Bulletin en la façon qu’on verra au chapitre suivant (p. 152).

Dans ce même mois de novembre, les membres de l’Arbeiterbund furent appelés à voter sur le choix d’un rédacteur pour la Tagwacht. Un parti voulait le maintien du rédacteur Greulich ; d’autres, mécontents de la direction donnée à la Tagwacht, désiraient remplacer Greulich par une autre personnalité, et avaient proposé J. H. Staub[1], de Glaris. Au vote, Greulich obtint 1401 voix, Staub 416. Nous apprîmes, par ces chiffres (qui nous révélaient en même temps la faiblesse numérique de l’association), que près d’un quart des membres de l’Arbeiterbund avaient des velléités d’indépendance.

Le 24 décembre, le Comité central de l’Arbeiterbund, siégeant à Winterthour, adressait au Comité fédéral jurassien une lettre signée Herter, où l’on nous proposait de nous communiquer mutuellement et de publier les nouvelles concernant les accidents du travail. « Veuillez, disait la lettre, publier dans votre Bulletin tous les accidents d’ouvriers dont vous aurez connaissance de la part de vos sections, ainsi que ceux que nous publierons de notre côté dans la Tagwacht. Nous ferons de même. Nous trouverons là un excellent moyen, non seulement de montrer à nos législateurs combien leurs discours sur le bonheur des ouvriers sont vrais, mais encore de montrer aux ouvriers eux-mêmes combien il est nécessaire, au lieu de se quereller et de se diviser pour des principes théoriques, de s’entr’aider et de marcher unis sous le drapeau du prolétariat. »

En publiant cette lettre, et en remerciant le Comité de l’Arbeiterbund pour son initiative, notre Bulletin (31 décembre) fit cette observation : « Combien ce langage est différent de celui de la fameuse lettre de J.-Ph. Becker, si haineuse, si pleine de fiel et de mauvaise foi, dont l’auteur rejetait la conciliation

  1. Staub était un homme plus conciliant. Le 24 avril 1875, nous nous étions rencontrés dans un meeting à Neuchâtel (voir t. III, p. 274).