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à l’abaissement moral et physique des populations ouvrières, ou vous contribuerez à préparer un avenir de réparation et de justice.


La Fédération jurassienne témoignait d’une énergique vitalité et d’une force d’expansion croissante. À Genève, à la suite de l’expulsion d’Auguste Reinsdorf de la Société typographique de la Suisse romande, prononcée par le Comité central de cette société[1], il se constitua, le 14 novembre, une Section internationale de typographes, qui, déclarant poursuivre le but de l’Internationale, adhéra à la Fédération jurassienne. Quinze jours plus tard, dans la même ville. était formée une Section de propagande de langue allemande, qui envoya également son adhésion au Comité fédéral jurassien.

Le dimanche 12 novembre eurent lieu dans le canton de Genève les élections pour le Grand-Conseil : les listes radicales passèrent tout entières dans les trois collèges, sauf un seul nom ; il y eut donc 119 députés radicaux et un député conservateur élus. Les radicaux avaient placé sur leurs listes neuf candidats ouvriers, pour s’assurer les voix des travailleurs. Ce résultat fut annoncé par la dépêche suivante, que publia la Tagwacht : « Victoire complète de la liste radicale. Neuf candidats ouvriers élus. Notre travail a été récompensé. Grande allégresse. Becker, Gehrig. » Le Bulletin, par la plume d’un correspondant genevois, commenta ainsi cette nouvelle :


La Tagwacht publie sous la signature des socialistes Becker et Gehrig un télégramme qui est un indicible cri de joie, de triomphe, d’enthousiasme et d’espoir, pour célébrer la grande victoire électorale remportée dimanche 12 novembre... Eh bien, ce beau succès nous laisse froids ; cet enthousiasme nous cause la plus pénible impression... Nous sommes partisans de l’abstention des travailleurs en matière électorale ; nous croyons que la participation directe ou indirecte des ouvriers dans l’élaboration des lois d’un État n’est pas le meilleur chemin à suivre pour renverser le colosse qui perpétue la misère humaine. Mais, si telle est notre conviction, nous ne saurions toutefois refuser nos sympathies et même notre concours à ceux qui choisissent cette voie pour arriver au but que nous nous proposons tous. Pourtant, c’est à une condition : c’est qu’à l’exemple de nos frères d’Allemagne, cette participation de la classe ouvrière aux luttes politiques se fasse sans être souillée par des compromissions avec l’ennemi... Il est de fait que les ouvriers de Genève veulent prendre part aux luttes politiques. Eh bien, soit ! mais que du moins ils le fassent avec dignité, qu’ils se constituent en parti à part, indépendant de toute attache bourgeoise. Il y a plus de cinq mille ouvriers électeurs à Genève : que ne s’entendent-ils entre eux ? Une telle force na plus besoin du concours des bourgeois, elle n’a qu’à s’organiser pour être absolument maîtresse du collège de la ville. Alors ce ne serait plus une maigre et stérile représentation de neuf députés, concédée par grâce, que posséderaient les travailleurs de Genève ; ils auraient dans l’assemblée législative quarante-trois sièges qu’ils ne devraient qu’à eux-mêmes... Ce jour-là, nous nous associerons de grand cœur à l’enthousiasme de la victoire remportée par les ouvriers genevois sur la bourgeoisie de toute nuance ; mais jusque-là on comprendra notre réserve en face de résultats stériles honteusement obtenus par des compromis de dupes.

  1. Cette expulsion fut prononcée sans motif aucun, simplement parce que les opinions socialistes de Reinsdorf déplaisaient au Comité central. Les sections de la Société typographique ne protestèrent pas.