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organes de l’Association internationale, afin que nous puissions nous y abonner. Recevez un salut fraternel de la part d’hommes qui désirent fortifier notre Association par la solidarité et établir des relations régulières avec vous, afin que nous marchions unis et d’accord pour la grande œuvre que vous avez entreprise et à laquelle nous voulons travailler avec vous. »


La situation de l’industrie horlogère, dans le Jura neuchâtelois et bernois, ainsi qu’à Genève, apparaissait de plus en plus compromise ; et aux maux de la crise présente, dont souffraient si fort les ouvriers, se joignaient les menaces de l’avenir. Un industriel neuchâtelois, M. Favre-Perret, qui avait fait partie du jury international à l’Exposition de Philadelphie, et avait recueilli des renseignements sur la fabrication de la montre aux États-Unis, fit à son retour une tournée de conférences à Neuchâtel, au Locle, à la Chaux-de-Fonds, à Saint-Imier, pour raconter ce qu’il avait vu, et indiquer ce qui lui paraissait l’unique moyen de sauver, en Suisse, l’industrie horlogère en péril. Les Américains ont établi d’immenses fabriques, dans lesquelles la montre se fait d’un bout à l’autre à la machine : ces fabriques distribuent à leurs actionnaires de gros dividendes, qui se sont élevés jusqu’à 40 %, et qui, en 1875, malgré la crise, étaient encore de 12 % pour la fabrique de Waltham. Il faut donc que, en Suisse aussi, des sociétés d’actionnaires se constituent, que des « fabriques » de montres s’installent à la Chaux-de-Fonds, au Locle, à Saint-Imier, à Bienne, à Porrentruy. Les actionnaires pourront se partager, dans les années de crise, des dividendes de 12 % ; quant à la population ouvrière, elle ira, pour une partie, peupler ces fabriques ; l’autre partie, inemployée, devra trouver d’autres moyens d’existence, ou émigrer, ou mourir de faim. Telles étaient les perspectives ouvertes par les révélations de M. Favre-Perret aux « établisseurs » (c’est-à-dire aux petits patrons), aux chefs d’atelier, et aux salariés de l’industrie horlogère.

Ces conférences produisirent une grande émotion dans le pays. Au Val de Saint-Imier, la Commission d’organisation de la Fédération ouvrière du district de Courtelary convoqua une grande assemblée populaire, qui eut lieu à Saint-Imier le 18 décembre. L’assemblée, où furent représentées diverses nuances d’opinion, adopta à l’unanimité, après discussion, le texte d’un Manifeste aux populations horlogères, qui fut imprimé. La situation y était clairement exposée, et la solution indiquée en ces termes[1] :


L’industrie horlogère, comme beaucoup d’autres industries importantes, subit les lois de la production moderne ; elle entre dans la phase de la production centralisée dans les mains de compagnies financières, elle assiste à la disparition de la classe moyenne pour ne laisser en haut que quelques riches entrepreneurs, et en bas un prolétariat.

Appropriation de tout au profit de quelques-uns, transformation des conditions de l’industrie au profit d’une minorité qui se réduira toujours, tel est le mot de la situation.

L’Internationale a posé la question autrement. Nous sommes pour la science, pour le perfectionnement de l’outillage, pour l’emploi des machines, pour la production sur une grande échelle, mais à condition que ces progrès soient au bénéfice de tous, et non au profit exclusif de quelques-uns.

Ouvriers ! Il faut choisir entre les deux solutions : consentir à n’être que des machines vivantes dans l’immense engrenage industriel, ou vouloir être des hommes donnant leur part de travail, mais jouissant aussi de leur part légitime des fruits de la production collective.

Suivant la solution à laquelle vous vous rattacherez, vous vous prêterez

  1. Ce Manifeste avait été rédigé par Adhémar Schwitzguébel.