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Le 10 décembre eut lieu à Bruxelles une réunion de délégués de différentes associations ouvrières. Cette réunion-conférence, qui avait été convoquée par la Chambre du travail de Bruxelles, donna son appui au pétitionnement en faveur d’une loi sur le travail des enfants ; elle approuva en outre l’idée de créer en Belgique une fédération de toutes les corporations du pays, qui prendrait le nom d’Union ouvrière belge. « Si ce mouvement, dit à ce propos le Bulletin (24 décembre), doit amener à l’Internationale, par une voie indirecte, celles des sociétés ouvrières belges qui jusqu’à présent étaient restées indifférentes, nous nous en féliciterons, quoique le programme pratique développé dans la réunion de Bruxelles ne soit pas le nôtre. »

Mais les initiateurs de la conférence de Bruxelles n’avaient nullement l’intention d’amener les sociétés ouvrières belges à l’Internationale ; tout au contraire, leur but secret — Louis Bertrand l’a raconté dans son Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique — était de la supplanter.

Qu’était-ce que la Chambre du travail de Bruxelles ?

Ce groupement avait été fondé un an auparavant par Gustave Bazin[1], ouvrier bijoutier, et par le jeune Louis Bertrand, secrétaire de la chambre syndicale des ouvriers marbriers de Bruxelles, qui tous deux faisaient partie de la Section bruxelloise de l’Internationale. « Dans des conversations particulières, — raconte Louis Bertrand (t. II de son Histoire, p. 294), — après les séances de l’Internationale, Bazin et quelques autres parlaient souvent de l’utilité qu’il y aurait de fédérer les quelques sociétés ouvrières de Bruxelles, afin de donner au mouvement socialiste un centre d’action et de propagande. De Paepe, consulté par nous, approuvait fort l’idée, bien qu’elle dût déplaire aux anciens de l’Internationale, qui semblaient craindre la création d’un autre groupe fédératif que le leur, qui n’existait du reste plus que de nom[2]. C’est ainsi que le 4 janvier 1875 fut fondée la Chambre du travail, fédération des sociétés ouvrières bruxelloises. Son programme était bien modeste : elle voulait simplement fédérer les groupes professionnels ouvriers, dans le but de défendre les intérêts qui étaient communs à tous les travailleurs. Voilà ce qui se disait ouvertement dans les appels adressés aux associations ouvrières. Mais les initiateurs de ce nouveau groupement avaient une ambition plus grande : ils voulaient créer un centre d’action et de réveil socialiste qui se bornerait à travailler Bruxelles pour le moment, mais qui devait, dans la suite, s’étendre au pays entier et en faire sortir un Parti socialiste belge. À peine constituée, la Chambre du travail eut à subir un double assaut. Les membres de la Section bruxelloise de l’Internationale protestèrent contre cette organisation nouvelle qui, dans leur pensée, devait remplacer leur groupement. D’un autre côté, dans les sociétés ouvrières dont on sollicitait l’affiliation, on déclarait que la Chambre du travail était en réalité l’Internationale ressuscitée sous une autre forme, et on ne voulait pas en entendre parler. »

Les fondateurs de la Chambre du travail de Bruxelles s’étaient mis en rapport avec le groupe des socialistes gantois, à la tête duquel était alors Edmond Van Beveren, ouvrier peintre en bâtiment, qui, ayant « étudié la littérature socialiste allemande, fut bientôt acquis à la méthode sociale-démocratique des marxistes allemands » (L. Bertrand). Les Gantois prétendaient imposer d’emblée leur tactique à toute la classe ouvrière belge, tandis que les Bruxellois, plus prudents, ne voulaient procéder que par degrés ; mais les uns et les autres étaient d’accord pour mettre au rancart l’Internationale, comme une machine usée. Et c’est ainsi que la Chambre du travail avait convoqué pour le

  1. Bazin, réfugié de la Commune, qui avait séjourné d’abord deux ans à Genève, avait été en septembre 1873 l’un des secrétaires du Congrès marxiste tenu dans cette ville. Fixé ensuite à Bruxelles, il y fut en 1873 et 1874 le correspondant du journal l’Union des travailleurs, dont le rédacteur en chef était M. Jules Nostag (voir t. III, p. 139, note 1). Il épousa plus tard la sœur de César De Paepe (Louis Bertrand, Histoire, t. II, p. 50).
  2. À Bruxelles, s’entend. Dans d’autres parties du pays, la Fédération belge militait toujours.