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munes, ayant pour mandat de servir de lien entre les communes pour tous les intérêts généraux qui nous regardent en tant qu’hommes et non plus en tant que producteurs : Chambre régionale du travail et Fédération des communes, tels nous semblent donc être les deux aspects de l’État dans l’avenir ». Tous les autres, moi-même (qui parlai le premier), Gutsmann, Brousse, Reinsdorf, Malatesta, Joukovsky, Betsien, Werner, se montrèrent, avec des nuances diverses, anti-étatistes. — Je m’exprimai ainsi (vendredi) : « On a prétendu que les anarchistes ou les bakounistes (c’est ainsi qu’on nous appelle) voulaient supprimer entre les hommes tout lien social, toute action collective ; qu’ils voulaient non seulement la destruction des institutions politiques, armée, magistrature, police, clergé, etc., mais encore la suppression de ce qu’on appelle services publics. Comment a-t-on pu nous prêter des absurdités pareilles ?… L’abolition de l’État, c’est pour nous l’abolition du gouvernement d’une classe… La conception d’avenir que nous autres collectivistes, c’est-à-dire communistes anti-autoritaires, nous opposons à l’idée du Volksstaat, de l’État populaire, est celle de la libre fédération des libres associations industrielles et agricoles, sans frontières artificielles et sans gouvernement. » — Malatesta dit (samedi), en termes presque identiques, les mêmes choses : « On a presque laissé supposer que nous voulions détruire la poste, le télégraphe, les chemins de fer et tous les autres services qui ont besoin d’une organisation unique et centralisée… Nous aussi, nous voulons le fonctionnement de ce qu’on appelle les services publics ; bien plus, nous croyons que, par le développement du principe de solidarité et l’universalisation du travail collectif, la production et l’échange dans tous les domaines deviendront des services publics. Mais ces services ne devront pas être organisés d’en haut, par l’État ; ils sont la conséquence spontanée, naturelle, nécessaire de la vie sociale, du progrès de la science, du développement des besoins ; et de même que la circulation et la respiration dans la vie animale, ils ont leur raison d’être et trouvent leur moyen d’action dans le corps même de la société… Il me semble que nos contradicteurs confondent l’État avec la société. La société n’est pas l’agrégation artificielle, opérée par la force ou au moyen d’un contrat, d’individus naturellement réfractaires : c’est au contraire un corps organique vivant, dont les hommes sont les cellules concourant solidairement à la vie et au développement du tout ; elle est régie par des lois immanentes, nécessaires, immuables comme toutes les lois naturelles. Il n’existe pas un pacte social, mais bien une loi sociale. Que peut donc représenter l’État au sein de cet organisme ? Il ne peut avoir qu’une mission de résistance, un rôle d’oppression et d’exploitation… Nous voulons la destruction radicale de toutes les institutions bourgeoises et autoritaires d’aujourd’hui, et la prise de possession, par tous, de tout ce qui existe… Mais ensuite, comment s’organisera la société ? Nous ne le savons pas et nous ne pouvons pas le savoir. Nous aussi, sans doute, nous nous sommes occupés de projets de réorganisation sociale, mais nous ne leur accordons qu’une importance très relative. Ils doivent être nécessairement erronés, peut-être même complètement fantastiques… Par dessus tout, nous devons détruire, détruire tous les obstacles qui s’opposent aujourd’hui au libre développement des lois sociales, et nous devons empêcher que, sous n’importe quelle forme, ces obstacles puissent se reconstituer ou qu’il s’en crée de nouveaux. Ce sera au fonctionnement libre et fécond des lois naturelles de la société à accomplir les destinées de l’humanité… S’il en est qui éprouvent le besoin d’enrayer et de ralentir le mouvement social, à nous la marche en avant de l’humanité ne nous paraît pas plus semée de périls que ne l’est le cours des astres. »

Naturellement, le Congrès n’avait pas de décision à prendre sur une question d’une nature purement théorique ; aussi aucune résolution ne fut-elle votée.


Le samedi, la séance du matin, ouverte à neuf heures, fut consacrée tout entière à la continuation de la discussion sur la question : « De la solidarité dans l’action révolutionnaire » ; la discussion n’étant pas épuisée à une heure, la suite en fut renvoyée à la séance de relevée.

Dans la séance de l’après-midi, ouverte à deux heures et demie, la discussion