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ron lut un projet de Manifeste adressé aux travailleurs d’Europe. Ce manifeste montrait l’hypocrisie des libéraux anglais qui se lamentaient sur le massacre des Bulgares, mais qui n’avaient rien dit quand les soudards de Versailles avaient mitraillé les Parisiens par milliers ; celle des libéraux russes qui avaient aidé à faire l’ordre dans Varsovie, et qui n’avaient par conséquent pas le droit de protester contre ceux qui faisaient l’ordre en Bulgarie. Il se terminait ainsi : « Parce que nous aimons les Slaves, ils ne nous feront pas haïr les Turcs ; parce que nous sympathisons avec les paysans bulgares qu’on opprime, nous n’avons aucune malveillance contre les ouvriers et artisans turcs, victimes, eux aussi, de la tyrannie... Nous crions aux peuples qu’on fait s’entr’égorger : Comprenez donc que vos tsars et vos sultans, que vos empereurs et vos rois ne sont et ne peuvent être que vos ennemis... ; laissez-les à leurs guerres et continuons la nôtre. Restons sur notre champ de bataille, qui est celui du droit contre l’injustice, de la morale contre le crime, du travail contre le vol. » Ce projet de Manifeste fut adopté.

Il fut ensuite donné lecture des lettres et adresses parvenues au Congrès, savoir :

Une adresse de la Société démocratique de Patras, Grèce ;

Une adresse de la Section internationale de Montevideo, Amérique du Sud ;

Une adresse d’un groupe de socialistes révolutionnaires de Paris ;

Une adresse du Conseil central du Parti socialiste de Portugal, signée Azedo Gnecco, etc. ;

Une adresse du Comité central du Parti ouvrier socialiste du Danemark, signée Louis Pio, etc.[1] ;

Une adresse du Cercle tchèque de Londres ;

Une adresse d’un groupe de socialistes allemands habitant Londres, signée Sapesz et Kaufmann ;

Une adresse d’un groupe de socialistes russes habitant Londres, signée Goldenberg, Lieberman, etc. ;

Une lettre de la Section internationale de Lausanne ;

Diverses lettres d’Angleterre.

Puis la discussion fut ouverte sur cette question : « Des rapports à établir entre les individus et les groupes dans la société réorganisée » (proposition jurassienne).

Cette discussion remplit tout le reste de la séance, qui ne fut levée qu’à minuit ; elle continua dans la séance du samedi soir ; elle occupe, pour les deux séances, plus de trente-huit pages du Compte-rendu. Elle roula sur la conception de l’État socialiste et sur celle de la libre fédération des libres associations. Malgré l’intérêt que peuvent offrir ces débats au point de vue théorique, je dois renoncer à les reproduire in-extenso. Sur les dix orateurs qui prirent successivement la parole, un seul, J. Franz (vendredi), représenta l’opinion strictement étatiste : il expliqua qu’après la destruction de la domination capitaliste, il faudrait, comme aujourd’hui, des lois et un gouvernement ; seulement ces lois seraient votées directement par le peuple, et ce gouvernement serait élu par le suffrage universel. De Paepe (vendredi), reprenant les idées qu’il avait exposées en 1874 dans le rapport de la Section bruxelloise sur les services publics, déclara qu’il ne tenait pas au mot État, et qu’il était prêt à employer celui d’administration publique si on le désirait ; il expliqua que, « dans l’avenir, l’État serait, selon toute probabilité, en partie la représentation des groupes corporatifs [la Chambre du travail], ayant pour mandat de servir de lien entre ces groupes pour tout ce qui regarde la production en particulier et les faits économiques en général ; et en partie la fédération des groupes locaux ou com-

  1. La lettre du Parti ouvrier socialiste danois proposait qu’il fût tenu en Suisse, en janvier 1877, une conférence de délégués des différentes organisations socialistes ; cette conférence s’occuperait de la création d’un bureau international de correspondance et de statistique. La Congrès de Berne répondit aux socialistes danois en leur communiquant la proposition belge pour la convocation d’un Congrès socialiste universel.