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En arrivant en Florence, le vendredi soir 20 octobre, nous apprenons qu’Andrea Costa avait été arrêté la veille, ainsi que Natta et Grassi, et que le local où devait se tenir le Congrès était occupé par la police. Les compagnons qui nous racontèrent cela étaient eux-mêmes recherchés depuis plusieurs jours.

On voulait évidemment nous faire peur, pour nous empêcher de tenir le Congrès, qu’on n’avait pas osé interdire franchement. Toutefois, aucun des nombreux papiers concernant le Congrès n’était tombé entre les mains de la police ; et comme nous avions trouvé une autre localité pour nous réunir[1], nous résolûmes de nous y rendre sans perdre de temps. Il était minuit quand nous partîmes de Florence, à pied, par une pluie battante.

Je ne m’arrêterai pas à vous raconter les épisodes d’une marche de huit heures, faite en grande partie par des sentiers de montagne, au milieu de la plus profonde obscurité et sous un véritable déluge ; vous les comprendrez facilement, surtout en songeant que nous avions avec nous quelques compagnons d’un tempérament peu robuste, et que tous nous nous étions attendus à assister à un congrès pacifique et n’étions par conséquent pas préparés à entrer ainsi subitement en campagne.

Nous arrivâmes enfin au lieu de notre destination, un petit village sur une cime de l’Apennin. Après avoir pris une heure de repos, nous nous mîmes à l’ouvrage. Les mandats furent vérifiés, et toutes les questions de l’ordre du jour furent réparties sous ces quatre rubriques :

1° Points se rattachant à des questions de principe ;

2° Questions concernant la pratique révolutionnaire et le système à suivre sous ce rapport ;

3° Questions administratives de la Fédération ;

4° Questions diverses non comprises dans les trois rubriques ci-dessus.

Le soir du même jour, samedi 21, les commissions avaient achevé leur travail préparatoire. Alors, considérant que nous n’avions pas une minute à perdre si nous voulions achever notre besogne avant d’être surpris par la police[2], et la plus grande partie des délégués étant déjà présents, — quelques-uns d’entre eux, une dizaine, devaient encore nous rejoindre le même soir, — nous décidâmes de ne pas attendre davantage, et, de l’avis unanime des délégués présents, le troisième Congrès de la Fédération italienne de l’Association internationale des travailleurs fut déclaré ouvert.

Les discussions étaient déjà passablement avancées, lorsque nous reçûmes l’avis que les autres délégués, ceux que nous attendions encore, avaient été arrêtés tandis qu’ils étaient en route pour nous rejoindre ; qu’à Florence on avait fait de nouvelles et nombreuses arrestations, et que la police se disposait à se mettre à nos trousses.

Il n’y avait pas un moment à perdre.

  1. La Section de Pontassieve, bourgade à une vingtaine de kilomètres de Florence, avait fait savoir aux délégués qu’ils pourraient tenir le Congrès dans une auberge d’un village voisin, Tosi (commune de Bignano), dans l’Apennin.
  2. Dès que l’autorité eut vent du départ de Florence du gros des délégués, et sut la direction qu’ils avaient prise, elle fit occuper Pontassieve par une compagnie de ligue, des carabinieri et des guardie della pubblica sicurezza, pour arrêter ceux des délégués qui tenteraient de rejoindre leurs amis.