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Le quatrième centenaire de Morat.

Qu’est-ce que les guerres de Bourgogne ? Le roi de France, Louis XI, cherchait à se débarrasser d’un voisin dangereux. Il s’adressa aux Suisses et, pour les mettre dans ses intérêts, fit distribuer de l’argent aux familles patriciennes. Les agents du roi réussirent à engager les Suisses à conclure une alliance offensive et défensive avec l’archiduc d’Autriche, leur ennemi séculaire, et à leur persuader d’envahir les États du duc de Bourgogne. Que tout cela se fit moyennant finances, les historiens suisses les plus disposés à tout voir en beau sont obligés d’en convenir. Le chef du parti français, à Berne, était l’avoyer de Diesbach, « homme ambitieux, entreprenant et cupide, qui ne répondit que trop bien aux avances de Louis XI » (Daguet) ; un prêtre lucernois, Jost de Sillinen, a qui aspirait à devenir évêque français de Grenoble, reçut vingt et une mille livres pour les distribuer aux Confédérés » (Daguet), etc., etc.

Ce furent ces mobiles héroïques qui engagèrent les Suisses à se jeter sur l’Alsace pour la conquérir au profit du duc d’Autriche ; à pénétrer ensuite dans la Haute-Bourgogne, qu’ils ravagèrent ; puis à envahir le pays de Vaud, allié du duc Charles. Là, ils montrèrent une intrépidité extraordinaire, c’est-à-dire qu’ils massacrèrent tout avec la férocité qui distinguait les Suisses de cette époque. « De grandes horreurs souillèrent cette rapide conquête. En beaucoup d’endroits, les habitants furent massacrés, les garnisons jetées par-dessus les créneaux... À Estavayer, les Suisses tuèrent les trois cents hommes de la garnison et treize cents habitants. Femmes, enfants, tout fut haché et chaplé, dit la chronique, ou contraint de se jeter dans le lac. » (Daguet.) Genève dut payer une rançon de vingt-huit mille écus d’or pour échapper à un traitement pareil.

Le duc accourut au secours de ses alliés et sujets. Vaincu à Grandson, il rassembla une nouvelle armée, et vint assiéger Morat, qui relevait de ses États et dont les Suisses s’étaient emparés. Là, il fut complètement défait par les Suisses, dans les rangs desquels combattaient tous les hobereaux allemands du voisinage ainsi que le duc René de Lorraine. « Les Suisses tuèrent à coups de flèches tous les malheureux fuyards ; ils n’accordèrent la vie qu’aux femmes perdues qui suivaient l’armée bourguignonne. Cruel comme à Morat fut un dicton longtemps populaire parmi les Suisses. » (Daguet.)

Le résultat politique des guerres de Bourgogne fut d’arracher définitivement les populations de langue française du versant oriental du Jura à l’alliance de leurs voisins de France, et de les placer pour des siècles sous le joug despotique et abrutissant de Messieurs de Berne et autres patriciens allemands. Il a fallu les guerres de la Bévolution française pour rompre enfin les chaînes de cette ignoble servitude.

Morat n’est donc point un anniversaire qui mérite de vivre dans la mémoire des amis de la liberté ; et, d’ailleurs, ce n’est pas en se grisant du souvenir de ses gloires militaires qu’un peuple montre de l’intelligence et du cœur. À la bourgeoisie suisse organisant une mascarade prétendue historique sur le champ de bataille de Morat, nous opposons le prolétariat parisien abattant la colonne Vendôme : l’avenir dira qui des