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en prison préventive jusqu’au procès des Cent quatre-vingt-treize. Dans le courant de mai et de juin, des télégrammes venant de Kiyef et de Iassy arrivèrent chez notre ami Alfred Andrié, monteur de boîtes, qui habitait alors Saint-Aubin (canton de Neuchâtel), et chez qui Ross avait déposé des papiers et le matériel de l’imprimerie russe ; ces télégrammes, signés « Démètre », parlèrent d’abord d’un paquet qui n’arrivait pas, puis annoncèrent la réception du paquet et demandèrent des instructions. Nous ne savions pas, et nous n’avons jamais su, de qui provenaient ces télégrammes, et s’ils n’étaient pas l’œuvre de la police. En juillet, le bruit commença à courir que Ross était arrêté, et bientôt la triste nouvelle fut confirmée. L’arrestation de cet infatigable et courageux propagandiste devait porter un coup fatal à l’organisation bakouniste en Russie.

Le 12 juillet (30 juin du calendrier russe), Pierre Kropotkine réussissait, avec le concours d’amis dévoués, à s’évader de l’hôpital où, atteint du scorbut et d’une maladie d’entrailles, il avait été transféré deux mois auparavant. Après être resté caché quelques jours dans un village des environs de Pétersbourg, il put gagner la Finlande, qu’il traversa tout entière du sud-est au nord ouest : arrivé au petit port de Vasa, sur le golfe de Botnie, il passa en Suède, puis en Norvège, attendit quelques jours à Christiania un bateau en partance pour Hull, et débarqua enfin en Angleterre environ un mois après son évasion. Entre le 10 et le 15 août, je reçus une lettre portant le timbre de Hull, et sur l’enveloppe de laquelle je reconnus avec une vive émotion l’écriture de Kropotkine : il m’annonçait qu’il venait d’échapper aux griffes de l’Ours de Pétersbourg, et que, dès qu’il le pourrait, il se rendrait en Suisse. Le Bulletin du 20 août publia un extrait de la lettre que Kropotkine m’avait adressée ; j’en reproduis le passage suivant : « La police, persuadée que son prisonnier n’avait plus que deux ou trois semaines à vivre, consentit à son transfert dans un hôpital militaire, ou plutôt dans une prison militaire annexée à l’hôpital. L’air frais (l’hôpital est situé hors de la ville) rétablit bientôt le malade, et on lui donna la permission de se promener dans la cour de l’hôpital, sous la garde de quatre sentinelles, deux armées et deux sans armes ; mais la porte de la cour restait ouverte, le prisonnier n’avait qu’à courir une trentaine de pas pour la gagner, et pas de sentinelle à la porte. Les amis de Kropotkiue se procurèrent un excellent cheval, et l’un d’eux, portant une casquette militaire, vint l’attendre dans la rue avec ce cheval et une voiture, à quelques pas de la porte cochère. Il y avait tout un système de signaux organisé dans les rues pour indiquer si le chemin était libre, ce qui, heureusement, était assez facile, l’hôpital étant dans un quartier très éloigné de la ville : c’est ainsi que Kropotkine a pu s’évader en plein jour, à quatre heures et demie de l’après-midi. »


La guerre avait éclaté entre la Turquie et la Serbie ; et le récit des atrocités commises par les Turcs eu Bulgarie remplissait les journaux du monde entier. Mais, en Serbie même, tous les journaux avaient cessé de paraître depuis le commencement de la guerre, excepté le journal officiel ; et voici l’explication de ce fait, donnée par notre Bulletin :

« La presse est libre en Serbie ; seulement, en temps de guerre, le gouvernement peut faire fusiller les journalistes sans nulle forme de procès. Ceci nous fait comprendre pourquoi, depuis deux mois, nous avons cessé de recevoir le journal socialiste Narodna Vola, qui se publiait à Smédérévo. Le gouvernement lui a laissé toute liberté de continuer sa publication ; mais il a prévenu ses rédacteurs qu’ils seraient fusillés si le journal paraissait. Recommandé à la prochaine Commune de Paris, comme un ingénieux moyen de concilier la liberté de la presse avec les égards dus aux journalistes réactionnaires. »


Une circulaire en date du 5 mars 1876, adressée par le « Conseil général » de New-York aux rares personnalités qui formaient ses derniers adhérents, avait convoqué pour le 15 juillet, à Philadelphie, une Conférence de délégués de « l’Internationale ». Nous n’eûmes des nouvelles de ce dernier acte de la comédie