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il ne recherchait pas les honneurs, il cherchait la science ; il ne désirait pas la gloire, il voulait la vérité. Et il lui est arrivé ce qui arrive à tous ceux qui ne recherchent pas leur profit personnel, mais qui veulent vivre pour l’humanité : il a dû errer de pays en pays, traqué et poursuivi comme une bête fauve par les grands de la terre. Il ne laisse pas des fruits durables de son action ; ses doctrines n’étaient pas faites pour en amener à maturité. Il restera dans l’histoire tel qu’un vieux sapin géant qui brave les orages, debout sur le sommet d’un rocher battu par la foudre: figure imposante, mais qui ne porte point avec elle de bénédiction.


En reproduisant ces lignes, le Bulletin ajouta :


C’est un adversaire qui parle, on le sent, mais au moins un adversaire loyal et généreux : et s’il est honorable pour Bakounine d’avoir arraché de pareils témoignages d’admiration à des bouches hostiles, la chose n’est pas moins honorable pour celui qui a su, malgré les différences d’opinion, rendre un hommage spontané au génie et à la vérité.


Mais il y eut des ennemis dont l’acharnement ne désarma pas, et qui continuèrent leur triste besogne de vulgaires injures ou d’infâmes insinuations. La Tagwacht — à laquelle nous avions tant de fois tendu la main de la conciliation — publia, une semaine après la mort de Bakounine, l’article suivant :


« Bakounine est mort à Berne. Il avait survécu à sa renommée, et l’époque où la jeunesse russe écoutait ses paroles comme celles d’un prophète est passée depuis longtemps. Bakounine a fait beaucoup de mal au mouvement ouvrier, jusqu’au moment où on l’a empêché de continuer. La brochure publiée par ordre du Congrès de la Haye[1], en dévoilant le complot bakouniste, donna le coup de mort au vieux machinateur. Il publia dans le Journal de Genève une déclaration par laquelle il annonçait qu’il se retirait entièrement de la vie publique, et il a tenu parole pendant ces trois dernières années.

« Bakounine était le type le plus accompli du conspirateur ; mais pendant toute sa vie il n’a jamais su au juste ce qu’il voulait, tombant de contradiction en contradiction, et produisant le plus affreux gâchis. Tandis que dans son Alliance secrète, par exemple, il avait établi une véritable dictature despotique à la russe, il combattait dans l’Internationale, comme « autoritaire », une organisation qui n’avait rien de rigoureux. Bakounine était regardé par plusieurs bons socialistes, hommes impartiaux, comme un agent russe ; cette suspicion — erronée sans doute — est fondée sur le fait que l’action destructive de Bakounine n’a fait que du mal au mouvement révolutionnaire, tandis qu’elle a beaucoup profité à la réaction. »


Voici la réponse que je fis dans le Bulletin (16 juillet) à l’odieux langage de Greulich :


Cet article-là n’est pas fait pour faciliter le rapprochement que des socialistes de diverses nations, amis ou adversaires de Bakounine, ont exprimé le souhait de voir s’accomplir. Et nous ne nous expliquons pas comment la Tagwacht a pu publier, immédiatement après ce triste entrefilet, le texte de la résolution votée à Berne, qui invite les travailleurs « à oublier de vaines et fâcheuses dissensions passées ».

Est-ce en répétant que « Bakounine n’a fait que du mal au mouvement révolutionnaire », qu’il a fait « beaucoup de mal au mouvement ouvrier » ;

  1. C’est le pamphlet Engels-Lafargue-Marx, L’Alliance de la démocratie socialiste, etc.