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tion de l’altitude à prendre dans les cas d’intervention militaire lors d’une grève. La Section des graveurs de Genève avait désapprouvé l’appel adressé par le Comité central, l’année précédente, aux organisations ouvrières (t. III, p. 298) : « Il est curieux de constater combien les idées et la manière d’agir de cette section sont la continuation fidèle de l’action des anciennes sections de la fabrique genevoise. Dans un rapport présenté au congrès, cette section s’est jointe aux appréciations de la Gazette de Lausanne et du Journal de Genève au sujet des manifestations socialistes du 18 mars à Berne et à Lausanne, et la Section du district de Courtelary y est traitée avec un mépris tout bourgeois. Cette dernière section représente les tendances de la Fédération jurassienne, et c’est là sans doute, aux yeux des ex-internationaux genevois, un grand crime. Tandis que la splendide organisation ouvrière genevoise d’il y a quelques années est tombée dans l’impuissance sous l’action démoralisante de quelques esprits étroits et timorés, les groupes socialistes des Montagnes se sont consolidés, et, en pleine réaction générale, ils ont développé leur organisation et lui ont donné une importance qui échappe à la prudente sagesse des hommes pratiques de Genève. Les autres sections de la Fédération [des graveurs et guillocheurs] ont gardé une attitude conciliante : les tendances de la Section du district de Courtelary sont loin d’y être acceptées, mais du moins l’action vivante de cette section y est plus justement appréciée que dans les milieux genevois. » (Extrait du compte-rendu envoyé au Bulletin par Adhémar Schwitzguébel.)

Le résultat de la délibération du Congrès des graveurs et guillocheurs fut un recul, un désaveu de la résolution votée l’année précédente à Auvernier. « Les préoccupations patriotiques, la crainte de conflits avec l’autorité, la frayeur de paraître, aux yeux du public, subir l’action de l’Internationale et accepter la solidarité des actes des ouvriers étrangers, sont beaucoup plus puissantes, dans cette fédération, qu’une réelle compréhension des intérêts ouvriers. On a craint surtout les conséquences d’une agitation anti-militariste dans les cas de grève. La délégation du district de Courtelary présentait une résolution engageant les sections à poursuivre le projet d’une entente formelle entre toutes les organisations ouvrières de la Suisse en cas de renouvellement de l’intervention militaire. Cette résolution fut rejetée, et l’initiative du Comité central désapprouvée. » Le nouveau Comité central fut placé à la Chaux-de-Fonds.


En avril 1876 était arrivée à Lugano une jeune dame russe, socialiste, venue dans le Tessin pour sa santé, et qui, présentée à Bakounine par Pederzolli, de qui elle prenait des leçons d’italien, fut très vite admise dans l’intimité du vieux révolutionnaire. C’est elle qui a publié en 1907 dans la revue russe Byloé, sous le pseudonyme de A. Bauler, ces souvenirs auxquels j’ai déjà fait des emprunts.

Bakounine attendait impatiemment la venue de Mme  Lossowska, qui devait lui apporter le prix de la coupe de la forêt de Priamoukhino, déduction faite des mille roubles déjà envoyés, et du remboursement de ses propres dépenses. Ce fut dans les premiers jours de mai qu’elle arriva, accompagnée de son père et de sa mère. Toute la famille s’installa dans la villa Bakounine. Mme  Lossowska apportait seulement sept mille roubles (22.540 fr.) ; avec cette somme, il était impossible de payer toutes les dettes ; aussi Bakounine commença-t-il à envisager l’éventualité d’une solution qui consisterait à quitter Lugano pour aller vivre en Italie, en abandonnant la villa aux créanciers.




II


Du milieu de mai au milieu de juin 1876.


En Espagne, depuis 1874, le Congrès régional de la Fédération, que les persécutions gouvernementales avaient rendu impossible, était remplacé par des