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le plus humain des droits ». Ah ! ces nobles drapeaux du travail, j’eus la douleur de les voir pris et rapportés en trophée, troués et sanglants, au bureau de l’Assemblée bourgeoise, par des fils du peuple, par les mobiles de Paris, par des frères conduits contre leurs frères, à la grande joie des maîtres triomphants dans le sang de tous,... et faisant place nette à l’empereur.

Peuple de la classe dirigée, penses-tu que si ces héros, ces martyrs avaient été unis en 1848, si la corporation eût retenu les « mobiles » ou grossi de leur nombre les insurgés, l’armée de la classe dirigeante en eût triomphé ? Et lorsqu’ils ont continué la lutte de 1848, quand la terrible leçon fut renouvelée non pendant deux jours, mais toute une semaine, penses-tu que si les ouvriers de Paris eussent été unis, ils n’auraient pas doublé, triplé leurs forces contre l’armée de Versailles, et changé le sort de la guerre ? Je puis me tromper encore, mais je le pense, et, pour l’anniversaire du 18 mars, je te l’écris.


La vie intérieure de la Fédération jurassienne était très intense ; les réunions succédaient aux réunions. À Saint-Imier, le dimanche 26 mars, grande assemblée publique, où l’on parla de la Commune, et où fut votée une adresse aux Sociétés ouvrières de Berne, à l’occasion de l’incident du drapeau rouge du Sozialdemokratischer Verein. Le dimanche 16 avril, autre assemblée publique, qui décida la publication d’un Appel au peuple au sujet de la crise horlogère. Cet Appel, qui n’avait rien de révolutionnaire, et qui était signé, au nom de la réunion publique, par un chef d’atelier, Ernest Méroz, et un ouvrier graveur, Henri Soguel[1], disait que les intérêts généraux de la population pouvaient être classés en quatre catégories : ceux des fabricants, ceux des chefs d’atelier, ceux des propriétaires et des commerçants, et ceux des ouvriers ; les fabricants sont organisés en société industrielle, une partie des ouvriers sont organisés par corps de métiers fédérés ; les chefs d’atelier et les propriétaires et commerçants devraient se grouper aussi et s’organiser ; les quatre organisations nommeraient chacune une commission chargée de formuler des propositions pratiques ; et les quatre commissions, après s’être réunies pour discuter sur les moyens de remédier à la crise ou du moins d’en atténuer les conséquences, présenteraient leurs conclusions à une assemblée populaire générale.

À Berne également, nombreuses réunions à l’occasion de grèves locales et d’organisation des ouvriers non encore groupés en sociétés de résistance.

À Lausanne, une grève des charrons et forgerons en voiture ayant amené l’arrestation arbitraire de trois grévistes, un meeting de protestation, convoqué par le comité central de l’Union ouvrière locale, réunit le 7 mai cinq cents ouvriers ; y prirent la parole : le jeune typographe allemand Reinsdorf, dont le nom paraît alors pour la première fois, et dont le discours énergique, prononcé en allemand, fut traduit par le peintre Vuillermet, qui alors appartenait à l’Internationale ; un vieil ouvrier vaudois, Chevillard ; Joukovsky (il résidait alors à Lausanne) ; et des ouvriers suisses allemands, Schäffer, Wagner, Krebser.

Les conférences faites dans les diverses sections continuaient. Je dois signaler en particulier celle que fit, le 9 mai, Auguste Spichiger, dans l’amphithéâtre du collège de la Chaux-de-Fonds, devant une nombreuse assemblée, où il y avait, outre les ouvriers, des banquiers, des fabricants, et un grand nombre de petits patrons. Il parla de la crise, en montrant « la progression constante et fatale des crises industrielles depuis l’abolition des maîtrises, et l’essor qu’a pris depuis cette époque le mercantilisme » ; et, comme conclusion, il donna lecture de l’Appel au peuple voté par l’assemblée de Saint-Imier.

Au Congrès bisannuel de la Fédération des ouvriers graveurs et guillocheurs, qui eut lieu les 7 et 8 mai à Neuchâtel, on s’occupa entre autres de la ques-

  1. Henri Soguel avait été mon élève à l’École industrielle de Locle.