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le soin de pourvoir à leurs intérêts par une fédération générale d’où sortirait une société vraiment égalitaire et libre.

De ces deux principes opposés découlent naturellement des agissements politiques contraires ; de là les luttes intestines qui déchirèrent le parti socialiste internationaliste. Pour les premiers, les prolétaires doivent entrer progressivement dans l’État autoritaire et ne négliger aucun moyen pour atteindre ce résultat ; les seconds disent carrément aux travailleurs : Abstenez-vous de la politique bourgeoise, même quand elle prend des allures progressistes, éclairez-vous mutuellement, organisez vos forces, et, quand le jour sera venu, vous vous ébranlerez, non pas pour transformer l’État, mais pour le détruire et lui substituer vos fédérations égalitaires.

Nous ne voulons pas nous poser en faiseurs de synthèses, d’autant moins que nous venons demander des solutions et non en proposer, mais nous nous reconnaissons le droit d’étudier les faits, de rechercher leur signification et de profiter de leurs enseignements; nous croyons même que c’est un devoir.

Nous assistons à la plus grande crise mentale de l’humanité.

Le spiritualisme, battu en brèche par la science, est lentement refoulé par l’expérimentalisme ; nous pouvons suivre le progrès de ce mouvement non pas seulement dans le socialisme (qui, après avoir pendant cinquante ans pris part à l’orgie de spiritualisme qui pour le malheur de l’humanité commença en 1793 avec la puissance jacobine, s’est transformé sous l’action vivifiante de la philosophie matérialiste), mais encore chez nos ennemis eux-mêmes. À l’État simplement répressif, tel que le conçurent, par exemple, Charles-Quint, Louis XIV, Napoléon Ier et autres tyrans de la même espèce, un homme d’État allemand a voulu, reprenant la pensée de Frédéric II et de Hegel, substituer un État méthodique, rationnellement et intelligemment compressif ; et voilà que la France est à la veille de faire l’expérience d’un État positiviste[1], qui prendrait pour base ce qui est, en le vivifiant par des réformes progressives, mais secondaires, et aurait pour but l’endiguement de la révolution ou, pour parler plus exactement, le refoulement du socialisme et l’éternisation de la forme actuelle de la propriété, de laquelle pourtant découlent tous nos maux.

Que faire devant ce fait nouveau ?

En voulant trop suivre la politique de l’écart absolu, n’est-il pas à craindre que le parti socialiste, que les travailleurs agricoles et industriels, les premiers surtout, ne suivent la bourgeoisie dans son évolution nouvelle, si le drapeau socialiste n’est pas à toute occasion, et surtout chaque fois qu’il s’agit de marcher en avant, déplié au milieu d’eux ?

Les forces vives de l’humanité ont besoin de mouvement pour se développer, et si, en même temps qu’un idéal, le socialisme n’est pas une action quelquefois révolutionnaire, ou quelquefois progressiste selon les circonstances, mais constante, ces forces vives lui échapperont pour passer dans les mains des parlementaires et des intrigants politiques, ce qui serait un double malheur.

  1. On sait que Gambetta se disait positiviste.