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dites économiques, comme l’association et la division du travail, les machines, etc. Ceci nécessite de grandes agglomérations de capital et de travailleurs ; le travail individuel est de plus en plus remplacé par le travail collectif.

Or, à qui appartiendra ce capital aggloméré ? À des capitalistes ? Ce serait organiser un nouveau servage agricole-industriel. Aux travailleurs eux mêmes ? Ce serait substituer, au régime de la concurrence individualiste qui nous écrase, un régime de concurrence corporative qui ferait aussi du travail une bataille, où les fortes corporations réduiraient les faibles aux privations et à la subordination.

Ne pourrait-on pas éviter ces deux inconvénients, en reconnaissant que tout ce qui est capital est propriété collective, c’est-à-dire inaliénable entre les mains soit de la Commune, soit de toute autre organisation sociale, et ne pouvant qu’être confiée aux libres associations des travailleurs, moyennant certaines redevances et certaines garanties sauvegardant les intérêts et les droits de la communauté ?

En ce qui touche les richesses, comme il n’y a aucun inconvénient pour la société à ce que chacun de ses membres jouisse à sa manière de la part de valeur qui lui est attribuée (attendu que, dans l’organisation collectiviste, chacun sera assuré d’une instruction intégrale et professionnelle, d’un travail attrayant et très productif, et, s’il est impropre au travail, d’un entretien suffisant), nous croyons que les richesses peuvent et doivent être possédées individuellement, et cela pour garantir la liberté de la volonté et de l’action personnelle[1]. Il ne faut pas oublier que les richesses n’étant pas productives, leur accumulation par un individu ne saurait nuire à la communauté. Tel collectionne des livres, tel autre des tableaux, des plantes rares : qu’est-ce que cela nous fait ? Mais l’on pourrait accumuler des bons de travail, pour se procurer de longues années d’oisiveté ? Peu importera encore. En tous cas, on pourrait prévenir cet abus par une simple mesure administrative en vertu de laquelle les bons de travail ne seraient échangeables que pendant trois ou cinq ans.

Pour en revenir à la personnalisation des richesses, que voulons-nous en effet ? L’expansion et le perfectionnement des êtres humains. Cette expansion et ce perfectionnement ne peuvent être obtenus que par la plus grande liberté possible, ainsi que par la pratique de la plus large solidarité.

Par la collectivité du capital et l’association dans le travail, la solidarité humaine est assurée.

Par la possession individuelle des valeurs produites, l’indépendance est garantie.

Reste maintenant à nous occuper des moyens, ce qui est bien autrement difficile. Ici le parti socialiste est bien divisé. Les uns, voyant dans l’État la plus haute, la plus puissante résultante du développement historique, veulent se servir de ce même État pour réaliser l’égalité sociale.

Les autres, ne voyant dans l’État qu’une machine d’oppression, veulent le supprimer purement et simplement, laissant aux divers groupes sociaux

  1. On voit que Malon, qui se disait autrefois communiste, voulait maintenant le maintien de la propriété individuelle pour ce qu’il appelle les « richesses », c’est-à-dire pour le produit du travail social.