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il est hérissé de troupes. La population de la ville prend un vif intérêt au procès ; la salle est toujours comble, les tribunes sont remplies de dames. Le procès fait le sujet de tous les entretiens, et il se forme en faveur de nos amis un courant de sympathie très accentué. Le jury est composé en majorité de gens de la campagne, qui ont l’air en général peu rassurant. Les défenseurs sont presque tous des républicains, et il se trouve même parmi eux des socialistes... Les accusés sont au nombre de soixante-dix-neuf, dont neuf contumaces[1]. Ils ont l’air tranquille et souriant, et paraissent plus gais que le public qui les regarde. Une soixantaine ont été interrogés jusqu’à présent, et, sauf trois ou quatre, tous ont fait ouvertement une profession de foi internationaliste. Les réponses de Faggioli, de Buggini, de Negri, de Mazzanti, de Domeniconi, de Mazzetti, de Renzi, de Leoni, de Matteucci, et d’autres, ont été remarquables par leur accent de franchise et d’énergie ; non seulement ils se sont déclarés membres de l’Internationale, mais ils en ont développé les principes, en se déclarant prêts à les défendre au prix de leur vie.

« Comme vous pouvez le penser, l’interrogatoire le plus important et celui qui a fait le plus de sensation a été celui de Costa. Le jour où on sut, en ville, qu’il devait commencer, la foule était accourue plus considérable encore que d’habitude. Costa a débuté en faisant l’histoire de l’Internationale en Italie, disant qu’il était bien aise de pouvoir la faire, parce que jusqu’à ce moment elle avait été très mal faite ; il tenait en outre à la faire, a-t-il ajouté, par des motifs de propagande : car, puisqu’on lui avait tout ôté, tout interdit, il ne lui restait plus d’autre moyen que de transformer le tribunal en tribune. Ce mot a fait le tour de la presse italienne, qui a consacré à Costa une notice biographique spéciale, très honorable pour lui. On a remarqué que les élèves des écoles ont quitté leurs cours pour venir à l’audience entendre Costa. Son interrogatoire a duré trois jours, durant lesquels on a donné lecture de beaucoup de documents concernant l’Internationale. Ceux qui avaient été écrits par lui se reconnaissaient immédiatement au style. On a lu un manuscrit d’un certain Zanardelli[2], rempli d’antithèses et de phrases ampoulées, qui finissait en célébrant l’égalité des sexes ; un défenseur ayant demandé si Zanardelli était impliqué dans la cause, le procureur du roi a répondu en riant : On ne fait pas de procès aux gens qui veulent l’égalité des sexes. Je ne puis vous rapporter tout l’interrogatoire de Costa... Quand il eut fini, non seulement ses défenseurs Ceneri[3] et Barbanti, mais le célèbre Busi[4] et d’autres, sont allés lui serrer la main. »

Pendant quatre semaines, notre correspondant ne nous envoya plus rien. Une lettre particulière, je ne sais plus de qui, nous annonça (Bulletin du 9 avril) que les interrogatoires étaient terminés et que les dépositions des témoins avaient commencé. Nous nous perdions en conjectures sur les causes du silence de Barbanti. Enfin arriva sa lettre du 20 avril (Bulletin du 7 mai). Elle disait :

« Le procès touche à sa fin. On a entendu tous les témoins à charge et à décharge. En ce moment, on donne lecture des nombreux documents que l’autorité a réunis de tous côtés pour s’en faire des chefs d’accusation contre les inculpés... Le questeur Mazza (chef de la police de Bologne) a dit, dans sa déposition. « qu’il avait des informations secrètes venant d’une personne très au courant de toutes les affaires de l’Internationale ». Il a prétendu que Costa s’était trouvé à Bruxelles, le 2 août 1874, pour y concerter le plan d’une révo-

  1. Je n’ai pas pu rétablir la liste complète des soixante-dix accusés présents : les correspondances du Bulletin ne mentionnent que soixante et un noms. Plusieurs centaines d’internationaux qui avaient participé au mouvement ne furent pas poursuivis. Le nom de Bakounine ne fut pas mêlé au procès, sa présence à Bologne étant restée ignorée, comme je l’ai dit.
  2. Tito Zanardelli, l’un des rédacteurs de l’Almanacco del proletario dont il a été parlé au volume précédent.
  3. Le professeur Ceneri, regardé à Bologne comme l’un des maîtres de la parole, assistait le jeune avocat Barbanti.
  4. Busi était une des illustrations du barreau italien.