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Le semestre d’hiver était terminé, je devais partir ; mais j’attendis encore deux semaines et demie après l’envoi de ma lettre. Cependant, je ne reçus aucune réponse. Plus tard, Bakounine a écrit à une personne de ma connaissance et de la vôtre, Lopatine, qu’il m’avait envoyé une brève réponse dans laquelle il était dit qu’il renonçait à la traduction à cause de ma grossièreté. Mais je suis persuadé que cette réponse n’a jamais existé, car je l’aurais reçue[1]. Au même ami il a remis un récépissé dans lequel il déclare avoir reçu de l’éditeur, par mon intermédiaire, trois cents roubles, et s’engage à les rendre dans le plus bref délai possible. Mais ce récépissé était absolument superflu, car je possédais déjà un reçu écrit de sa main pour la même somme, et sa promesse de paiement à bref délai n’a pas été exécutée[2]. Jusqu’à présent je n’ai pas reçu un rouble de lui ; mais en revanche il a dernièrement adressé à ce même éditeur une dame pour lui demander de lui donner une autre traduction, en promettant que l’histoire du Kapital ne se renouvellera pas. Quelle impudence[3] !

Comme conclusion, je dirai ce que je pense maintenant de la lettre que je reçus en 1870 du « Bureau ». Alors, la participation de Bakounine me paraissait incontestable ; mais je dois dire que maintenant, en repassant froidement dans ma tête toute cette histoire, je vois que la participation de Bakounine n’est pas du tout prouvée, car en réalité cette lettre a pu être envoyée par Netchaïef tout à fait indépendamment de Bakounine[4]. Une seule chose peut être considérée comme tout à fait établie, c’est que Bakounine n’a pas manifesté le moindre désir de continuer le travail commencé, malgré l’argent reçu[5].

  1. Ici encore, au lieu d’admettre tout simplement l’affirmation de Bakounine, M. Lioubavine se déclare persuadé que celui-ci a menti, alléguant que, si Bakounine avait écrit, la lettre serait parvenue à son adresse, — comme si une lettre ne se perdait jamais !
  2. Le papier transmis à Lioubavine par l’intermédiaire de Lopatine n’était pas un simple duplicata du récépissé arrivé le 2 octobre 1869, puisqu’il contenait en outre un engagement de rendre le plus tôt possible les trois cents roubles touchés d’avance. Ce papier, dont j’ignorais l’existence, est un nouveau témoignage de la loyauté de Bakounine.
  3. Voilà tout ce que M. Lioubavine trouve à dire au sujet d’une démarche (dont, pour ma part, je n’ai eu connaissance qu’en lisant sa lettre) qui prouve précisément que Bakounine était bien loin de songer à commettre un abus de confiance à l’égard de Poliakof, puisque, si l’éditeur lui donnait à faire une autre traduction, il était évident que les trois cents roubles seraient déduits du prix à payer au traducteur.
  4. Ainsi, aux yeux de Lioubavine, Bakounine ne saurait être rendu responsable de l’envoi de la lettre du « Bureau ». Et cela n’empêchera pas Marx, malgré la déclaration formelle de son correspondant, de faire rendra par ses hommes à tout faire un arrêt infamant contre la victime qu’il voulait déshonorer !
  5. Non, Bakounine n’a pas désiré, en effet, « continuer le travail commencé ». Mais il a désiré rendre l’argent reçu. Seulement, que l’on considère ce qui s’est passé dans l’intervalle écoulé entre le printemps de 1870 et le Congrès de la Haye : dans l’été de 1870, la rupture avec Netchaïef ; puis la guerre entre l’Allemagne et la France éclatant brusquement ; en septembre et octobre, Bakounine à Lyon et à Marseille ; ensuite l’hiver de 1870-1871 avec la misère noire et la composition de l’Empire knouto-Germanique ; puis la Commune de Paris, Bakounine dans le Jura ; à partir de juin 1871, la polémique contre Mazzini, contre l’intrigue marxiste, qui absorbe toute l’activité de l’écrivain ; de nouveau la détresse pécuniaire durant l’hiver de 1871-1872 ; au printemps de 1872, la polémique de plus en plus violente ; et, à partir de juillet 1872, Bakounine à Zürich, au milieu de la colonie des étudiants russes ; c’est alors que, par l’intermédiaire d’une dame, il cherche à renouer des relations avec l’éditeur Poliakof ; c’est alors aussi que l’arrestation de Netchaïef par la police zuricoise va l’obliger à garder le silence et l’empêcher, après le Congrès de la Haye, de faire publiquement la lumière sur l’imputation calomnieuse lancée par des ennemis sans scrupule.