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rosité, non pas à la fraternité, — on ne lui en demande pas tant, — rappelez-la à la simple justice, au bon sens, à la pudeur... Cette protestation doit être faite au nom de l’humanité et non pas au nom de notre parti. »

La Tagwacht publia une traduction de cette lettre de la Section française de Zürich, que la Section allemande, déférant au vœu de nos camarades, transmit au Comité central de l’Arbeiterbund, à Winterthour.

Ce Comité central se trouvait donc saisi de deux propositions venant de socialistes de langue française, étrangers à l’Arbeiterbund, mais qui lui proposaient une action commune : celle de la Fédération des graveurs et guillocheurs, celle de notre Section de Zürich. Dans sa séance du 26 janvier, il délibéra sur les deux questions, et voici les termes mêmes de son procès-verbal :

« Le désir de faire une protestation contre les traitements barbares infligés aux déportés de la Nouvelle-Calédonie part évidemment d’une excellente intention,... mais nous ne voyons pas quel résultat pratique pourrait avoir une protestation, d’autant plus qu’il est bien difficile de savoir à qui cette protestation devrait être adressée... Pour que la chose eût un sens, il faudrait que ce fût un Congrès qui exprimât son indignation sous la forme d’un télégramme ou d’une lettre adressée à quelque membre intransigeant de la future Chambre. En conséquence, le Comité décide de ne pas donner suite à la proposition. »

En enregistrant cette décision, le Bulletin la commenta ainsi : « Il est possible en effet qu’une protestation populaire en faveur des déportés de la Commune ne doive pas avoir de résultat pratique ;... mais que penser du moyen que nous indique le Comité central de l’Arbeiterbund : Une adresse à un député intransigeant ! Voilà qui serait vraiment bien trouvé, bien imaginé ! Les intransigeants se font de l’amnistie une réclame électorale[1], et les ouvriers socialistes de la Suisse viendraient les aider dans leur jeu ! Ceci nous donne un échantillon vraiment instructif de la manière dont on comprend la politique dans certains milieux plus ou moins socialistes de la Suisse allemande. »

Sur l’autre question, le procès-verbal du Comité central s’exprimait ainsi :

« De la part des sections de l’Arbeiterbund il n’est pas arrivé de propositions formelles relatives à l’initiative prise par les graveurs et guillocheurs ; la plupart des réponses sont au contraire négatives. Le Comité central lui-même ne voit aucun motif d’adopter les propositions des graveurs et guillocheurs. Des affaires comme celle de Göschenen ne peuvent être empêchées ni par des protestations ni par des assemblées de délégués, surtout lorsque certains groupes ouvriers se constituent à part de la classe ouvrière de leur pays, pour former un parti séparatiste qui reste en dehors de l’organisation générale. Il est décidé de répondre dans ce sens à l’appel des graveurs et guillocheurs. »

Voici les réflexions du Bulletin : « Ceci veut dire, si nous avons bien compris, que le Comité central de l’Arbeiterbund refuse de s’associer à une agitation populaire contre l’intervention militaire dans les grèves ; en même temps, ce Comité réédite contre les socialistes de langue française la vieille et banale accusation de séparatisme. Nous ne répondrons pas ici à ce reproche, qui n’a pas de sens pour ceux qui connaissent l’histoire vraie du mouvement ouvrier depuis la fondation de l’Internationale ; nous dirons seulement que nous avions espéré mieux que cela de la part du Comité central de l’Arbeiterbund. »

Quinze jours plus tard, le Comité central, averti sans doute que sa décision de mettre au panier l’initiative de la Section française de Zürich avait déplu à quelques-uns de ses administrés, revint sur son premier vote relativement aux déportés (mais il ne changea pas d’avis quant à la proposition d’une entente à organiser pour le refus du service militaire en cas de grève) ; on lit dans le Bulletin du 20 février : « Le Comité central de l’Arbeiterbund s’est ravisé. Après avoir d’abord repoussé comme inopportune la proposition faite par la Section internationale de langue française de Zürich, il s’est tout à coup décidé à écrire une lettre à l’ambassadeur français à Berne. Or, que le

  1. Cet article paraissait le 6 février, quelques jours avant les élections françaises.