Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/335

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

eux. Mais ces groupes-là ont besoin de se concerter pour savoir quelles mesures pratiques ils auraient à prendre dans le cas où leurs membres se verraient appelés au service militaire pour marcher contre des grévistes.


Le Comité central de l’Arbeiterbund, fort ennuyé et ne sachant encore quelle attitude il adopterait, renonça pour une fois à son rôle de directeur et résolut de se borner à transmettre l’appel aux sections de l’association. Mais un de ses membres, plus décidé, le relieur Auguste Herter, à Veltheim, près Winterthour, adressa en son nom personnel au Comité central des graveurs et guillocheurs une lettre (21 novembre) où il disait : « Amis, vous avez bien fait de lancer votre appel… Oui, il ne suffit pas de protester, il faut agir… À l’arrivée de la nouvelle de Göschenen, j’étais sur le point de ramasser mon uniforme, de le porter à Berne, et d’aller le jeter aux pieds du Conseil fédéral en disant : « Tenez ! pour un honnête homme il est honteux de porter l’uniforme suisse ! » Voilà ce qu’il faudra faire ; mais pour cela il faudra se coaliser, le plus nombreux et le plus fermes que possible. » (Bulletin du 19 décembre.) — Il y avait donc, dans la Suisse allemande, des hommes énergiques qui nous tendaient la main pour l’action.

Un nouvel incident, survenu à Wohlen (Argovie) le 12 décembre, montra que « l’intervention de l’armée dans les débats entre les ouvriers et les entrepreneurs paraissait être entrée dans les habitudes et acceptée par l’opinion publique » : des ouvriers italiens, occupés à des travaux de chemin de fer, avaient réclamé contre une diminution de salaire, et aussitôt un détachement de troupes avait été mis sur pied. Il n’y eut pas, cette fois, de sang versé : mais quelques-uns des « meneurs » furent arrêtés, et conduits, menottés, à la prison de Bremgarten.

Dans le courant de novembre fut publié le texte du projet de loi sur les fabriques. L’Arbeiterbund et le Grütli prirent l’initiative d’une pétition à adresser aux Chambres pour l’incription dans ce projet de la journée normale de dix heures, et de quelques autres points. Le Volksverein, association radicale, s’associa au pétitionnement, et la presse, la radicale comme l’ultramontaine, fit campagne en faveur du projet. L’Internationale resta sceptique.


En ce qui concerne la vie intérieure des Sections jurassiennes, il faut citer la réunion tenue à Bienne le dimanche 3 octobre, réunion analogue à celles qui avaient eu lieu antérieurement à Fontaines, à Saint-Imier et à Berne en 1874. « Ce fut, dit le Bulletin, une bonne journée pour l’Internationale. Le dimanche matin, le chemin de fer amena de tous les côtés des membres de la Fédération jurassienne, désireux de faire ou de renouveler connaissance : Berne, Fribourg, Neuchâtel, le Locle, la Chaux-de-Fonds, Sonvillier, Saint-Imier, Corgémont, et même Porrentruy et Bâle, avaient fourni leur contingent. » Le succès du meeting public nous valut des attaques furieuses de la part de la presse bernoise ; Brousse fut particulièrement en butte aux injures et aux dénonciations d’une feuille appelée Intelligenzblatt der Stadt Bern : heureusement pour lui, le professeur Schwarzenbach, directeur du laboratoire de chimie de l’université, auquel il était attaché comme assistant, avait des relations personnelles avec son collègue de la faculté de Montpellier, le professeur Brousse père, en sorte que le jeune assistant ne fut pas inquiété. — Le 30 octobre, il y eut assemblée familière, à Berne, de membres des Sections de Berne, Bienne, Sonvillier, d’une Section en formation à Bâle, et d’une Section récemment formée à Soleure. Comme on le voit, nos idées gagnaient du terrain, et des groupes nouveaux venaient à nous. Même au delà des Alpes, dans le Tessin, une Section fondée à Lugano, en décembre, par quelques Italiens et quelques Tessinois, nous annonça son adhésion à la Fédération jurassienne[1]. — À Genève, par contre, le terrain n’était décidément pas fa-

  1. On voit par les procès-verbaux du Comité fédéral jurassien, auquel la Section de Lugano envoya ses cotisations (30 juillet 1876), qu’elle comptait douze membres.