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Une lettre de notre correspondant russe (Bulletin du 14 novembre) disait que le procès-monstre annoncé par les journaux n’aurait probablement pas lieu, et que le gouvernement enverrait tout simplement les détenus en exil par décision administrative. Il ajoutait, après avoir rapporté le suicide d’un prisonnier politique, des réflexions sur la transformation qui lui paraissait nécessaire dans la tactique des révolutionnaires :

« Le gouvernement russe — disait-il — est impitoyable à l’égard de ses adversaires ; les socialistes russes le doivent être de même à l’égard de ce gouvernement. Tant qu’ils se borneront à faire simplement de la propagande, leur cause ne gagnera rien ou peu de chose ; et je vais montrer que se cantonner exclusivement sur ce terrain, c’est faire un mauvais calcul. En effet : le propagandiste russe doit être nécessairement un homme très audacieux, car faire de la propagande socialiste en Russie, c’est bien autre chose que de la faire en Suisse, en Belgique ou en Allemagne ; en Russie, on risque d’être envoyé pour une dizaine d’années aux travaux forcés ou de périr dans un cachot. Le propagandiste russe ne peut donc manquer d’audace : et alors, pourquoi se bornerait-il à la propagande ? On arrivera nécessairement, si l’on n’est pas déjà arrivé, à se poser cette question ; et on la résoudra dans ce sens qu’il faut venir en aide à toutes les grèves et émeutes, les provoquer même, et cela à main armée. Mourir en défendant ses idées vaut dans tous les cas mieux que de se suicider dans une cellule par suite de mauvais traitements. »

Ce raisonnement devait conduire bientôt à l’idée de ce qu’on a appelé la « propagande par le fait », et, plus tard, à celle des représailles, des actes de terrorisme, qui devait prendre corps en 1879 par l’organisation du célèbre « Comité exécutif ».

Une correspondance d’Irkoutsk insérée en décembre dans le journal Vpered, de Londres, et reproduite par le Bulletin, raconte une tentative faite pour faire évader Tchernychevsky. Un inconnu se présenta à l’ispravnik de Vilnisk, et lui présenta un ordre écrit du chef de la gendarmerie d’avoir à remettre au porteur la personne de Tchernychevsky pour le transfert du condamné à Blagovestchensk. L’ispravnik eut de la méfiance, et envoya l’inconnu au gouverneur de Irkoutsk, accompagné de deux cosaques ; chemin faisant, l’inconnu tua l’un de ses gardes et blessa l’autre, mais, ne connaissant pas les chemins du pays, il tomba entre les mains de l’autorité, qui l’envoya prisonnier à Saint-Pétersbourg. C’était Mychkine, qui devait figurer en 1877 dans le procès des Cent-quatre-vingt-treize.


Nous reçûmes, en décembre, de Smédérévo (Semendria), en Serbie, un journal intitulé Narodna Vola (la Volonté du peuple), et ensuite une lettre qui nous demandait de prier divers organes de l’Internationale de faire l’échange avec ce journal : « Aidez-nous, frères, disait-elle, par votre concours moral, à marcher dans cette voie qui mène au triomphe de notre cause commune ». Le Bulletin publia la lettre.


À l’autre bout du monde, en des pays avec lesquels nous n’avions eu jusqu’alors aucun rapport, se révélait à nous l’existence de mouvements socialistes déjà anciens, dont les militants demandaient à entrer en relations avec nous. Du Mexique nous arrivait un journal hebdomadaire, le Socialista, qui en était à sa cinquième année de publication et tirait à 3400 exemplaires. Dans ce journal, nous lisions un appel d’une Section de l’Internationale fondée à Montevideo (Uruguay), engageant les ouvriers de cette ville à entrer dans notre Association. Nous ne manquâmes pas de nous mettre en correspondance avec les socialistes mexicains et avec ceux de l’Uruguay.

À Montréal (Canada), il y eut le 17 décembre, devant l’hôtel de ville, une grande manifestation d’ouvriers sans travail ; le maire congédia les manifestants avec des assurances de sympathie. Le lendemain les affamés revinrent, réclamant autre chose que des paroles : la police les chargea à coups de casse-têtes, fit de nombreuses arrestations, et dispersa la foule. (Bulletin du 23 janvier 1876.)