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tre les employeurs et les employés et accroîtrait la défiance et les préjugés mutuels ». La solution de toutes les difficultés sociales se trouve dans la liberté, — bien entendu, dans ce genre de « liberté » qui ne peut profiter qu’au patron. « Est-il possible de régler le travail sans arrêter immédiatement la science, le progrès, les perfectionnements et les découvertes ? En présence de notre histoire industrielle de quinze siècles, votre comité répond : Non… La liberté du travail laisse à tous les citoyens français, ouvriers ou maîtres, le pouvoir de régler leurs relations de métier comme il leur plaît. Elle défend à toute collectivité, quels que soient son nom, sa forme, son origine, de se substituer (! !) à leur initiative personnelle. Les lois… doivent respecter par-dessus tout la liberté individuelle absolue du travail. »

Telles étaient les conceptions économiques des législateurs républicains de 1875.

Le Bulletin du 28 novembre reproduisit un récit de la mort de Flourens, d’après une lettre écrite de Nouvelle-Calédonie par Amilcare Cipriani[1] à Bignami ; celui-ci l’avait communiquée à Malon, qui la publia dans le Mirabeau. Le récit de Cipriani rectifiait les versions erronées, publiées antérieurement, des divers incidents qui accompagnèrent l’assassinat de Flourens par le capitaine de gendarmerie Desmarets.

Il y eut, dans les derniers jours de 1875, une polémique, dans le Bulletin, entre le « général » Cluseret, qui habitait Genève, et Gustave Lefrançais. Celui-ci nous avait écrit une lettre, que je publiai (no 48) sans signature, où il mettait en doute la sincérité du socialisme de « l’illustre général ». Cluseret répondit (no 50) : « En ce qui concerne mes convictions socialistes, elles sont, j’en suis sûr, un peu plus solides et un peu plus éprouvées que celles de votre correspondant anonyme » ; ce à quoi je répliquai : « Notre correspondant est un socialiste éprouvé, dont les convictions datent de juin 1848, c’est-à-dire d’une époque où le citoyen Cluseret, à la tête du 23° bataillon de la garde mobile, enlevait aux insurgés onze barricades et trois drapeaux et gagnait à cet exploit la croix d’honneur ». Lefrançais nous écrivit une seconde lettre, qui parut signée de son nom, où il insistait et précisait (no 51). Cluseret, à son tour, reprit la plume (no 3 de 1876), et voulut justifier sa conduite en juin ; à propos des actes d’un membre de la Commune, qu’il critiquait, il écrivit : « Ceci est un peu plus grave que de tirer sur des bonapartistes en juin 1848 ». Ce mot mit fin à la polémique ; pour se blanchir, Cluseret accusait de bonapartisme les prolétaires parisiens massacrés par lui et ses pareils : il était jugé.


En Belgique, l’organisation commencée parmi les mineurs des environs de Liège par la Section internationale de cette ville se complétait, et dans un congrès, le 14 novembre, fut constituée la fédération des mineurs du bassin de Seraing.

Comme moyen de propagande socialiste, les Belges eurent recours, ainsi que nous l’avions fait, à l’almanach : les Flamands publièrent à Gand De Vlaamsche Lantaarn (la Lanterne flamande) ; les Wallons, à Liège, l’Almanach socialiste[2]. En même temps, César De Paepe commençait, sous les auspices de la Chambre du travail de Bruxelles, une série de conférences sur l’économie

  1. Amilcare Cipriani, né à Rimini en 1844, avait pris part à la campagne de Sicile avec Garibaldi en 1800. En septembre 1864, il se trouvait de passage à Londres, venant d’Égypte, et assista au meeting de Saint Martin’s Hall où fut décidée la création de l’Internationale (je prends ce renseignement dans une lettre que Cipriani m’a écrite le 7 décembre 1907). Retourné ensuite en Égypte, il y fonda, à Alexandrie, une section de l’Association. En 1866, il était en Crète avec Flourens ; en 1870, à Paris, il militait dans les rangs des internationaux. On sait qu’il accompagnait Flourens à la sortie du 3 avril 1871 ; fait prisonnier, il fut condamné à la déportation dans une enceinte fortifiée.
  2. Cet almanach était édité par la rédaction de l’Ami du Peuple. Il contenait des articles et des poésies de De Paepe, de Prosper Voglet, d’Eug. Châtelain, de Delesalle (le beau-père de P. Robin), de Victor Mathaiwe, et de P. Robin (qui signait de l’anagramme Bripon).