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journaliste de la Plebe[1] ajoutait : « Oui, les temps sont mûrs. Nous le prouverons, en secouant tous ensemble nos chaînes. On entendra un grand fracas, — et alors, à ce bruit libérateur, on verra s’éclipser tous ceux, qui voulaient maintenir l’humanité sous le joug, tous ceux qui prétendaient que les temps n’étaient pas mûrs. »

Mais l’intrigue tramée dans l’ombre, depuis quelque temps déjà, par un groupe de vaniteux mécontents, dont j’ai parlé, allait éclater au grand jour. MM. Lodovico Nabruzzi et Tito Zanardelli, alliés à B. Malon, qui déjà commençait à se poser en chef d’école[2], publièrent à Lugano, à la fin de 1875, un Almanacco del proletario : ils y levaient l’étendard de la discorde. Le Bulletin, d’une main rude, démasqua les intrigants dans l’article suivant :

« Il a paru à Lugano, sous le titre d’Almanacco del proletario per l’anno 1876, une brochure qui n’est qu’une machine de guerre dirigée contre l’organisation actuelle de l’Internationale en Italie. L’article principal, dû à la plume de M. L. Nabruzzi, cherche à jeter de la méfiance sur les membres les plus dévoués du parti socialiste italien, sur ceux qui ont figuré dans les procès de Florence et de Trani, ou qui sont encore dans les prisons du gouvernement à Bologne... Les hommes qui cherchent en ce moment à ruiner l’organisation du socialisme en Italie pour satisfaire de misérables rancunes personnelles sont pour nous des ennemis, et nous les traiterons comme tels. Nous avons vivement regretté de voir les noms de Malon et de Joseph Favre[3] associés à ceux de MM. Zanardelli et Nabruzzi dans l’almanach en question, et nous espérons qu’une fois la lumière faite sur l’intrigue ourdie à Lugano, ils sauront répudier toute solidarité avec de semblables manœuvres. Quant à nos amis de Belgique, dont la bonne foi a été surprise, nous les mettons en garde pour l’avenir contre les agissements de nos adversaires communs. » (Bulletin du 30 janvier 1876.)


Un rapport rédigé par M. Nicolas Ducarre, député républicain de Lyon, au nom d’un comité parlementaire nommé en 1872 pour faire une enquête sur la situation des employeurs et des employés, fut publié en novembre 1875. Ce rapport, qui laissait de côté l’agriculture et les professions dites libérales, constatait qu’il y avait en France, pour les mines, carrières, etc., 14.117 maîtres et 164.819 ouvriers ; pour les grandes usines, manufactures et ateliers, 183.227 maîtres et 1.420.006 ouvriers ; pour la petite industrie, 596.776 patrons et 1.000.144 ouvriers. La loi de 1791 qui défendait toute espèce d’entente et d’action collective, tant aux maîtres qu’aux ouvriers, avait été maintenue jusqu’en 1868. À cette époque, la loi Émile Ollivier avait autorisé les employeurs et les ouvriers à former des syndicats. À Paris, « les premiers, dit M. Ducarre, ont formé environ cent chambres syndicales avec un comité central, et ont dans la presse un organe spécial ; mais les soixante ou quatre-vingts chambres syndicales ouvrières n’ont pas encore été autorisées à former un comité central ». M. Ducarre nie qu’il existe un antagonisme entre les intérêts des salariés et ceux des employeurs : « Le comité a vainement cherché, sans le trouver, cet état d’hostilité permanente affirmé par les partisans du rétablissement des corporations » (c’est-à-dire par les partisans des syndicats ouvriers). Il ne faut pas, ajoute-t-il, que les salariés prétendent interposer des groupements professionnels entre eux et leurs patrons, car « les manufacturiers ont unanimement déclaré que tout syndicat ou tout autre intermédiaire empêcherait l’entente en-

  1. C’était peut-être Cafiero lui-même qui avait écrit cet article, car la Plebe recevait de toutes mains.
  2. Malon avait publié chez Le Chevalier, à Paris, un Exposé des écoles socialistes françaises, et il devait publier en 1876 à Lugano, chez Ajani et Berra, une Histoire critique de l’économie politique. Il avait offert sa collaboration au Mirabeau, de Verviers, qui l’avait acceptée, et il allait essayer de faire de ce journal l’instrument de ses ambitions et de ses rancunes.
  3. Joseph Favre était un cuisinier français, un peu toqué, qui se trouvait à ce moment attaché comme chef à un hôtel de Lugano, et qui se fit, pendant un temps, l’inséparable suivant de Malon.