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vantes : « Un de nos amis, qui a passé quelque temps chez les insurgés de l’Herzégovine, nous communique l’impression qu’il en a rapportée. Le mouvement, dit-il, a deux mobiles essentiels : le fanatisme religieux et l’amour du pillage. Les insurgés sont de véritables troupes de brigands, qui brûlent les villages et égorgent tout ce qu’ils rencontrent. C’est se faire illusion que de croire ces gens-là capables d’accomplir une révolution sérieuse. Si la population de la Serbie se mettait de la partie, ce serait différent, car il y a là des éléments socialistes. » — Quant à Kraftchinsky, je ne sais pas ce qu’il devint, durant l’année qui suivit son retour de la Herzégovine. Nous le retrouverons, vers la fin de 1876 ou au commencement de 1877, dans le midi de l’Italie, où il s’était rendu avec Mme  Volchovskaïa gravement malade.

Si Bakounine se croyait à la veille de sortir de la détresse financière dans laquelle il se trouvait depuis un an, et « entrevoyait les portes du paradis d’assez près », Cafiero, lui, définitivement ruiné, et ne pouvant continuer à vivre à la Baronata faute de ressources, avait été obligé de se mettre en quête d’un emploi qui lui donnât de quoi manger. En septembre 1875, il crut avoir trouvé ce qu’il lui fallait : il s’était abouché avec un photographe de Milan, qui lui promit de le prendre comme employé. En conséquence, il décida de quitter la Baronata[1] pour se rendre à Milan ; sa femme voulait, de son côté, retourner en Russie pour s’y consacrer à la propagande. Le mobilier de la Baronata, qui allait devenir ainsi en partie disponible, pouvait être utile à Bakounine pour sa villa de Lugano ; on a vu que celui-ci, dès septembre 1874, s’était « entendu avec Cafiero pour lui acheter tous les meubles, ustensiles et linges de la Baronata dont il aurait besoin » (p. 235). C’est probablement cette question de mobilier, sur laquelle il était difficile de s’expliquer autrement que sur place, qui détermina Bakounine à rendre visite à Cafiero, et amena ainsi le rapprochement que tous deux souhaitaient et dont l’occasion ne s’était pas encore présentée. Quoiqu’il en soit, vers la fin de septembre, Bakounine, encouragé à cette démarche par les visites qu’il venait de recevoir successivement de Malatesta et de Ross, se rendit — seul — de Lugano à la Baronata. Il y fut reçu affectueusement par Cafiero et par sa femme (celle-ci ignorait, comme je l’ai déjà dit, le refroidissement momentané qui s’était produit entre son mari et Bakounine), et il y resta plusieurs jours. Cette visite rétablit, entre les deux amis, les relations sur l’ancien pied, et le tutoiement recommença. Sur la question du mobilier, on se mit facilement d’accord : Cafiero se réserva seulement quelques meubles, parce qu’il voulait conserver à la Baronata un pied-à-terre. Bakounine, de retour à Lugano, s’employa obligeamment à faciliter à Lipa l’obtention d’un passeport pour la Russie (lettre à Adolphe Vogt du 2 octobre 1875). Une lettre de Cafiero, du 9 octobre, commençant par « Mon cher Michel », annonce qu’il a reçu de Berne le passeport de Lipka, et que leur départ à tous deux est fixé au surlendemain ; il donne la liste des meubles qu’il pourra céder à Bakounine, et termine par ces mots : « Je t’embrasse avec Lipa et Filippo[2] ». Le 10, Cafiero et sa femme écrivent chacun à Bakounine un billet d’adieu ; celui de Lipa, en russe, très chaleureux, commence par les mots « Bien cher petit père Michel Alexandrovitch » ; voici le billet de Cafiero, en français, écrit au verso de celui de sa femme :


10 octobre.

Nous recevons, Michel, ta dernière lettre. Pourquoi me devrais-je refuser à me rencontrer avec Mme  Antonie ? Au contraire, je serais bien aise,

  1. Il cherchait à vendre cette propriété. Je le mis en relation avec Claris, qui avait fondé à Genève une agence pour la vente et la location d’immeubles, et qui se chargea de lui chercher un acquéreur. Mais il ne s’en présenta point dans les trois années qui suivirent. La Baronata ne fut vendue qu’en 1879, ou même plus tard, et non pas par l’intermédiaire de Claris.
  2. Filippo Mazzotti, de Bologne.