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et invite le Comité central de la fédération, pour le cas où l’intervention militaire se renouvellerait en cas de grève, à provoquer une entente entre les organisations ouvrières en Suisse, sur l’attitude à prendre par la classe ouvrière au cas d’un pareil événement.


Le Comité central de la Fédération des graveurs et guillocheurs (qui était placé cette année-là au Val de Saint-Imier), se conformant au mandat qu’il venait de recevoir, adressa à toutes les organisations ouvrières de la Suisse un appel pour les inviter à se concerter en vue d’une action commune. « Nous vous proposons, disait-il, une entente formelle pour l’attitude générale à prendre en cas d’intervention militaire dans les cas de grève. Si vous êtes prêts à seconder notre initiative, nous vous invitons à donner mandat au comité central ou fédéral de chaque organisation de s’entendre avec nous sur les démarches à faire pour aboutir à un résultat pratique. » Nous verrons plus loin quel accueil cet appel reçut de la part de l’Arbeiterbund.

Vingt jours après le vote de la résolution du Congrès des graveurs et guillocheurs, « l’intervention militaire se renouvelait » : c’était à Reigoldswyl (Bâle-Campagne). Deux ou trois cents ouvriers, employés eux aussi au percement d’un tunnel, sur une ligne du Central suisse, réclamaient leur salaire arriéré, que l’entrepreneur n’avait pas payé depuis longtemps : ils se présentèrent en masse, le samedi 25 septembre, aux bureaux de l’entreprise ; le gouvernement cantonal, prévenu par télégramme, autorisa le Conseil communal à mettre sur pied la milice pour « rétablir l’ordre » ; et on faillit voir se renouveler le drame sanglant de Göschenen. Heureusement les ouvriers, gardant tout leur sang-froid, quittèrent Reigoldswyl, laissant les miliciens tout seuls, et se rendirent en colonne paisible au chef-lieu, Liestal, pour y exposer leur affaire. Le gouvernement, les voyant si pacifiques, n’osa pas répondre par des coups de fusil à leur modeste requête : il invita la Compagnie à faire droit aux réclamations des ouvriers, et ceux-ci, après avoir reçu chacun un à-compte de trois francs, s’en retournèrent le dimanche aussi paisiblement qu’ils étaient venus, et reprirent le travail le lundi.

Vers la fin d’août, la « Section de propagande » de Berne, à la suite de circonstances que j’ai oubliées et de difficultés d’ordre intérieur, prononça sa dissolution ; mais elle se réorganisa immédiatement sous le nom de « Section de Berne » .

Le 12 septembre eut lieu à Bienne une réunion ouvrière à laquelle assistèrent des délégués de Berne et de Sonvillier ; elle eut pour résultat la reconstitution d’une section dans cette ville.

Nous eûmes le regret de perdre, à cette époque, un de nos meilleurs camarades, le menuisier Samuel Rossier, de Vevey. Le dimanche 19 septembre, il se noya par accident dans le port de Montreux, en revenant du Bouveret où il était allé faire une promenade en bateau à vapeur ; il avait à peine trente-cinq ans : « D’un caractère franc et cordial, Rossier était aimé de tous ses camarades ; l’Internationale perd en lui un membre dévoué et actif, et tous ceux qui le connaissaient, un ami » (Bulletin).

Une lettre écrite par moi, le 10 septembre, à Joukovsky (momentanément émigré à Lausanne), avec lequel je continuais à correspondre de loin en loin, bien que la Section de propagande de Genève se fût séparée de la Fédération jurassienne, fera voir la manière dont j’envisageais les choses à ce moment :


Mon cher Jouk, Popof m’a remis ta lettre. Nous lui avons donné l’hospitalité comme nous avons pu. C’est par lui que j’ai appris que tu avais quitté Genève pour Lausanne. Il paraît qu’à Genève il n’y a plus rien en fait de Section, ou pas grand chose. Ce n’est pas étonnant.

Pour nous, nous continuons d’aller notre train. Sans faire de bruit, et par des moyens infiniment plus modestes qu’autrefois, nous avons gagné pas mal de terrain. Au lieu de nous battre les flancs pour amener les corporations ouvrières à faire en bloc une adhésion purement nominale à