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La presse bourgeoise, elle, se montra unanime, sauf deux ou trois exceptions, à féliciter les massacreurs. Le Nouvelliste vaudois, journal radical, après avoir affirmé que les ouvriers du tunnel étaient très bien payés et n’avaient aucun motif de plainte, ajoutait : « En général, on reconnaît la louable énergie déployée par le gouvernement d’Uri ; avec peu de monde, peu d’embarras, peu de frais et très promptement, il a terminé cette affaire ». Un autre journal radical, le Confédéré de Fribourg, écrivit : « Les trente miliciens n’ont fait qu’obéir à un ordre et remplir leur devoir ». On put constater chez les exploiteurs grands et petits une attitude cynique qui, à juste titre, provoqua l’exaspération des socialistes :


Quant aux bons bourgeois, conservateurs ou radicaux, qu’on entend deviser derrière une chope ou une absinthe dans les cercles et les cafés, ils sont unanimes à témoigner leur parfaite satisfaction au sujet du sang versé. — C’est bien fait ! Voilà ce que vous entendez partout.

Ah ! c’est bien fait, messieurs les bourgeois ? Vous trouvez qu’il faut tuer les ouvriers pour leur apprendre à vivre ? Soit : nous nous souviendrons que c’est vous, les premiers, qui avez fait appel à la violence ; et un jour viendra peut-être où nous dirons à notre tour en parlant de vous : C’est bien fait[1] !


Dans son numéro du 22 août, le Bulletin publia un article nettement antimilitariste, envoyé par un correspondant neuchâtelois, qui disait :


Tous les ouvriers qui font partie de l’armée suisse devraient se tenir le raisonnement suivant :

Le rôle que la discipline militaire nous fait jouer peut devenir d’un instant à l’autre celui d’assassins de grand chemin. Qui sait ? demain peut-être mon père ou mon frère seront forcés de se mettre en grève pour défendre leur paie, et alors, au moindre bruit, on me fera endosser mon uniforme et on me commandera de tirer sur eux ; ou bien ce sera moi qui ferai grève, et ce sera mon frère qui me fusillera !

Si les ouvriers suisses qui font partie de l’armée fédérale ne veulent pas descendre au rang des mercenaires des armées permanentes, qu’on soûle d’eau-de-vie et qui ensuite fusillent le peuple qui les nourrit, il faut que ces ouvriers protestent avec la dernière énergie contre le massacre de Göschenen et déclarent bien haut qu’ils ne souffriront pas qu’on transforme nos milices en un aveugle instrument de répression dirigé contre la classe ouvrière.


La Fédération des graveurs et guillocheurs, sous l’inspiration de quelques-uns de ses plus énergiques militants, voulut qu’on ne se bornât pas à des protestations platoniques ; elle demanda qu’on se concertât pour aviser à des mesures pratiques, et adopta, dans une assemblée générale, la résolution suivante :


L’assemblée des graveurs et guillocheurs tenue à Auvernier, le 5 septembre 1875, déclare se joindre aux protestations qui ont surgi des différentes organisations ouvrières contre la fusillade des ouvriers du Gothard,

  1. Bulletin du 15 août 1875. — Félix Pyat nous envoya de Londres, avec 10 francs pour sa souscription, une lettre éloquente, qui parut dans le Bulletin du 5 septembre.