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Le meeting de Vevey déclare que, pour établir l’égalité entre les hommes, il faut que chaque travailleur soit mis en possession de ses instruments de travail par la propriété collective. Pour le moment, le meeting recommande, comme moyen d’arriver à la constitution de la propriété collective, de travailler, en dehors de toute alliance avec les partis politiques, quels qu’ils soient, à la création de caisses de résistance dans tous les corps de métier et à leur fédération sans distinction de frontières et de nationalité[1].


« Cette résolution fut votée à l’unanimité moins une voix[2].

« L’assemblée s’occupa aussi du massacre d’ouvriers accompli à Goschenen, dont la nouvelle venait d’arriver. Une résolution flétrissant le gouvernement du canton d’Uri fut adoptée à l’unanimité ; et un citoyen de Vevey, sous-officier[3] dans l’armée fédérale, proposa qu’il fût fait un tableau des noms des membres du gouvernement d’Uri et des militaires qui ont tiré sur les ouvriers, et que ce tableau fût affiché partout, afin de vouer ces noms à l’exécration publique. »

Je parlerai tout à l’heure du triste événement qui a conservé, dans les annales de la Suisse, le nom de massacre de Goschenen.

Après le meeting, il y eut soirée familière, avec discours, musique et chansons socialistes. Le peintre Gustave Courbet, qui habitait Vevey depuis 1872, vint se joindre à nous ; je ne le connaissais pas encore, et je considérais avec curiosité ce colosse bon enfant, qui s’assit, avec deux ou trois camarades amenés par lui, à une table bientôt chargée de bouteilles ; il nous chanta tout le soir, sans qu’on l’en priât, de sa rude voix de paysan, de rustiques et monotones mélodies franc-comtoises qui, à la longue, finirent par nous « raser », comme disait un autre communard qui ne l’aimait pas.

Le lundi matin, dernière séance du Congrès. La proposition, faite par la Fédération espagnole, de supprimer le Congrès général de 1875, fut adoptée à l’unanimité. Il fut décidé de créer, pour développer le goût de la lecture et de l’étude, une bibliothèque fédérale, et un règlement fut adopté à cet effet. Le siège du Comité fédéral fut maintenu à la Chaux-de-Fonds pour l’année 1875-1876 ; l’administration du Bulletin fut maintenue au Locle.

Le nouveau comité fédéral fut élu par la Section de la Chaux-de-Fonds dans sa séance du 17 août 1875 ; il fut composé comme suit : Numa Brandt, secrétaire correspondant ; Henri Felber, secrétaire des séances ; Frédéric Graisier, caissier ; Albert Nicolet, archiviste ; Ferdinand Wittwer, membre adjoint.

  1. Voir t. II, p. 38. C’est moi qui avais proposé à l’assemblée du 1er août 1875 de voter à nouveau la résolution qu’avait présentée Samuel Rossier au meeting du 8 mai 1870 ; il m’avait semblé utile d’affirmer par là que nos principes n’avaient pas varié depuis l’époque où cette résolution avait été adoptée à l’unanimité, y compris les voix de Grosselin, Henri Perret et J.-Ph. Becker, comme le résumé du programme de l’Internationale.
  2. Celle de Charles Beslay.
  3. Une erreur avait fait imprimer, dans le Bulletin, au lieu du mot « sous-officier », le mot « officier ». Aussitôt les officiers suisses habitant Vevey, au nombre de vingt-trois, s’empressèrent de publier une Protestation, pour déclarer qu’ils « avaient été indignés à la lecture du compte-rendu du dernier meeting de l’Association internationale des travailleurs réuni à Vevey », qu’ils « protestaient énergiquement contre l’inique proposition qui y avait été faite, et repoussaient toute solidarité avec le soi-disant officier veveysan encore inconnu qui devait en être l’auteur ». La Section de Vevey répondit, après avoir expliqué qu’il s’agissait d’un sous-officier : « Cela ne fait du reste rien à l’affaire. La proposition n’a ni plus ni moins de valeur pour avoir été faite par un militaire d’un grade plus ou moins élevé... Nous donnons acte à messieurs les officiers de Vevey du zèle avec lequel ils ont pris la défense du gouvernement d’Uri qui a commandé le massacre et des soldats qui ont eu le courage de fusiller des ouvriers sans armes. Seraient-ils désireux d’imiter cet héroïque exemple ? »