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Le rapport de la Section des graveurs et guillocheurs du district de Courtelary, qui avait été rédigé entièrement par Schwitzguébel, expose d’une façon très claire l’opinion des militants de la Fédération jurassienne ; et, comme j’ai donné plus haut (pages 219-221) une analyse et des extraits des rapports de la Section bruxelloise et de la Section de propagande de Genève au Congrès général de 1874, je pense qu’il est à propos de résumer également les traits essentiels du travail de Schwitzguébel.

Deux grands courants d’idées — dit Schwitzguébel — se partagent le monde socialiste, l’un tendant à l’État ouvrier, l’autre à la Fédération des communes. L’État ouvrier, nous dit-on, administré par la classe ouvrière, aura perdu le caractère d’oppression et d’exploitation qui est celui de l’État bourgeois : il sera une agence économique, le régulateur des services publics. Mais toute cette administration se fera par l’intermédiaire de représentants : il y aura un parlement ouvrier, élu par le suffrage universel ; il y aura une majorité qui fera la loi à la minorité ; l’État ouvrier devra posséder la puissance de faire exécuter la loi, de réprimer toute tentative de rébellion ; il aura donc un gouvernement, une force armée, une police, une magistrature, etc. ; et les moyens de domination dont il disposera seront bien plus considérables encore que ceux de l’État actuel, puisqu’il aura entre ses mains toute la puissance économique. Donc l’autonomie de l’individu et celle du groupe ne seraient point réalisées.

Au Congrès de Bruxelles, la question a été mal posée. Demander « par qui et comment seront faits les services publics dans la nouvelle organisation sociale », c’était d’avance conclure à l’État ouvrier. Il aurait fallu se demander simplement quelles seraient les bases de la société nouvelle ; et on se serait répondu : Il y a nécessité de transformer la propriété individuelle en propriété collective ; or, le moyen le plus pratique, c’est que les travailleurs s’emparent des instruments de travail, et les fassent fonctionner à leur profit ; cette action spontanée des masses est en même temps l’affirmation pratique du principe d’autonomie et de fédération, qui devient la base de tout groupement social. Ce n’est plus l’État qui décide ce qui doit être service public et qui organise ce service public, réglementant ainsi l’activité humaine ; ce sont les travailleurs eux-mêmes qui s’organisent dans les conditions qui leur conviennent et que déterminent l’expérience et le développement de chaque jour.

L’action révolutionnaire variera sans doute d’un pays à l’autre, et aussi d’une commune à l’autre dans un même pays : on verra sans doute toutes les théories socialistes, le communisme, le collectivisme, le mutuellisme, recevoir une application plus ou moins restreinte ou générale, selon les grands courants qui se produiront. C’est ainsi que, dès aujourd’hui, nous voyons l’Allemagne s’attacher à l’idée de l’État ouvrier, tandis que l’Italie et l’Espagne veulent la Fédération des communes. En quoi cela pourra-t-il arrêter la marche révolutionnaire du prolétariat, que les Espagnols et les Italiens s’organisent d’une façon et les Allemands d’une autre, ou même qu’en France certaines communes conservent la propriété individuelle, tandis que la propriété collective triomphera dans d’autres ? Mais il est probable que l’organisation la plus favorable au développement des intérêts de l’humanité finira par être adoptée partout, et cette organisation c’est la Fédération des communes.

Schwitzguébel conclut ainsi :


On a reproché à la Fédération des communes d’être un obstacle à la réalisation d’une entente générale, d’une union complète des travailleurs, et de ne pas présenter, au point de vue de l’action révolutionnaire, la même puissance d’action qu’un État.

Mais comment se fait-il que les groupes travailleurs, librement fédérés dans l’Internationale, pratiquent la solidarité, s’entendent et se mettent